Le commerce du jade en Birmanie génère 31 milliards de dollars par an, d’après un rapport de l’ONG Global Witness. Ce secteur rapporte très gros… à quelques barons de la drogue, à la famille et aux proches de l’ancien dictateur birman Than Shwe.
Le jade menace-t-il le jeune pouvoir civil birman ? C’est l’impression laissée par le premier rapport sur le commerce de la pierre précieuse du pays, publié par l’ONG de lutte contre la corruption Global Witness, vendredi 23 octobre.
Leur conclusion est sans appel : le jade draine des milliards de dollars au profit quasi-exclusif d’une clique formée de militaires, d’anciens dirigeants de la junte et de trafiquants de drogues. “Les bénéficiaires de ce commerce n’ont pas d’intérêt à ce que la démocratie se renforce en Birmanie”, reconnaît Mike Davis, analyste sénior pour Global Witness et coauteur du rapport, contacté par France 24.
Plus de 30 milliards de dollars
Ils n’ont surtout aucune envie que quelqu’un s’intéresse de plus près à leurs affaires. Le commerce du jade en Birmanie “est l’un des plus opaque au monde”, note les auteurs du rapport. Un mur de sociétés écrans dissimule la véritable identité des bénéficiaires de ce commerce et l’accès aux mines est “déconseillé” même aux représentants de l’État birman, ont constaté les enquêteurs. Cet univers est tellement secret que Mike Davis et son équipe d’enquêteurs ne s’y sont intéressé qu’un peu par accident. “À l’origine, nous voulions en savoir plus sur le pétrole et le gaz en Birmanie et avons vite compris que le commerce du jade avait un poids bien plus important”, raconte l’activiste de Global Witness.
Après des mois d’enquête et l’accès inédit à des documents financiers, les auteurs de l’enquête ont pu établir que la vente de jade a rapporté environ 31 milliards de dollars en 2014, soit 48 % du PIB birman. À côté du commerce de jade, les 4,1 milliards de dollars qui proviennent des exportations de gaz font pâle figure.
Mais contrairement à la rente gazière qui renfloue les caisses de la jeune démocratie, les exportations de jade ne profitent qu’à un petit groupe de personnes qui “renvoient aux pires heures de la dictature birmane”, d’après le rapport. Deux des fils de l’ancien dictateur Than Shwe sont, ainsi, liés à des sociétés qui ont gagné plus de 200 millions de dollars grâce au commerce de jade. L’armée birmane contrôle aussi deux sociétés qui ont tiré 180 millions de dollars de la vente de cette pierre précieuse en 2013.
Le “roi de l’héroïne”
Des barons de la drogue s’intéressent aussi à ce fructueux commerce. Wei Hsueh-Kang, considéré par les États-Unis comme le plus important trafiquant d’héroïne en Asie du Sud-Est, “contrôle un ensemble de sociétés qui sont probablement devenues les acteurs dominants du commerce de jade”, juge Mike Davis.
Cet empire du jade s’est révélé être une malédiction pour les habitants de l’État de Kachin, dans le nord du pays, où se trouve la plupart des mines. La lutte pour le contrôle de ces points d’extraction suscite depuis des années un conflit sanglant entre des groupes financés par les militaires et des rebelles de l’armée pour l’indépendance du Kachin (KIA/KIO). Les conditions de travail dans les mines sont, d’après les témoignages recueillis par Global Witness, catastrophiques et l’héroïne fait des ravages dans cet État frontalier de la Chine.
Coca-Cola et Caterpillar
Le puissant voisin de la Birmanie est, d’ailleurs, le principal moteur de la croissance du commerce du jade. La classe moyenne chinoise, de plus en plus nombreuse, raffole de cette pierre précieuse qui reste accessible en termes de prix. Les auteurs du rapport citent également Coca-Cola et Caterpillar comme exemple de multinationales qui ont des relations commerciales sulfureuses avec ces barons du jade. Le roi des boissons gazeuses serait ainsi lié localement avec l’une des entités contrôlées par l’armée pour exploiter les mines de jade. Le géant de la logistique fournit, d’après Global Witness, tout le matériel de chantier nécessaire à “au moins cinq entreprises liées à Wei Hsueh-Kang” le trafiquant de drogue. Contactés par l’ONG, les deux multinationales ont assuré ne pas être en affaires avec des personnes sanctionnées par les États-Unis.
Un explication insuffisante pour Global Witness, tant il y aurait urgence à agir pour mettre un terme à cette situation. L’ONG craint que le gouvernement civil n’y survive longtemps. Mike Davis souligne que “la grande inconnue est de savoir comment les profits sont réutilisés par ces personnes liées à l’ancien régime et s’ils servent à des fins politiques de déstabilisation du pouvoir en place”. Quatre ans après la fin de la junte, les mirobolants profits du jade permettent en tout cas aux notables de l’ancien régime de continuer à noyauter le système.