
Trois élus français viennent tout juste de rentrer de Syrie, où ils ont rencontré des représentants du régime. Une visite en opposition avec la politique de Paris. Les envoyés spéciaux de France 24 les ont suivis. Reportage.
La Syrie est au cœur des discussions de la communauté internationale depuis une semaine. Une question notamment est sur toutes les lèvres : peut-on résoudre le conflit syrien sans Bachar al-Assad ? Trois députés français n’ont toutefois pas attendu la réponse pour prendre le chemin de Damas. Gérard Bapt (PS), Christian Hutin (MRC, apparenté PS) et Jérôme Lambert (RRDP, ex-socialiste) étaient en Syrie du 26 au 30 septembre.
Ce n’est pas la première fois que des élus français se rendent dans le pays en guerre depuis la rupture des relations diplomatiques avec Paris : en février dernier, quatre parlementaires, dont Gérard Bapt déjà, s’étaient déjà rendus à Damas lors d’un déplacement qui avait défrayé la chronique. À la différence du premier voyage, ils appartiennent, cette fois, tous à la majorité au pouvoir en France.
Alors que plusieurs grandes capitales occidentales, ainsi que la Turquie, adoucissent leur discours vis-à-vis du régime syrien, François Hollande reste ferme sur ses positions et n’a de cesse d’appeler au départ de Bachar al-Assad. À la tribune de l'ONU, le lundi 28 septembre, il a rejeté toute idée de négociation avec l’homme fort de Damas. Le lendemain, le ministère des Affaires étrangères a annoncé avoir engagé des poursuites depuis le 15 septembre contre Damas pour crimes de guerre. Les trois parlementaires, eux, sont convaincus de la nécessité de rétablir le dialogue avec le régime. Antoine Mariotti et Luke Brown, envoyés spéciaux de France 24 en Syrie, les ont suivis à Homs et Damas.
En visitant Homs, berceau de la révolution, ravagée par plusieurs années de combats, Christian Hutin, natif de Dunkerque ne peut s’empêcher de se souvenir de sa ville détruite en 1945. "C'est l'habitant de Dunkerque qui est sidéré parce qu'il a vu des images noir et blanc de la ville de Dunkerque de 1945, c'était à 90 % et on peut s'imaginer ce que c'était pour la population qui était en dessous de ces bombes ", confie le député MRC du nord au micro de France 24. Il évoque également la reconstruction et la réconciliation : "ce sera aussi quelque chose de très compliqué. Il y a une reconstruction matérielle mais il y a aussi une reconstruction sociale et morale."
"Charles de Gaulle est aussi allé voir Staline "
Homs est aujourd'hui presque entièrement contrôlée par les forces loyalistes. Pour reconquérir la ville, le régime a opté pour une politique de terre brûlée : les chars de l'armée ont détruit les immeubles, bloc par bloc, jusqu'à assiéger pendant de longs mois les survivants, dont de nombreux civils. L'an dernier, un accord a finalement permis aux groupes armés de quitter leurs positions sans être arrêtés.
"Une grande partie de la ville a été occupée par les forces du Front al-Nosra, d'Al-Qaïda, de Daech [autre appellation de l’EI en arabe], ennemis du régime et avec lequel il est en guerre. Fallait-il ne rien faire ? Fallait-il laisser cette ville, ces quartiers, entre les forces que nous combattons ?", s’interroge pour sa part Jérôme Lambert, député radical de Charente.
Pour ces parlementaires français, pas de doute, Bachar al-Assad est redevenu incontournable. "Quand on sait que Roosevelt par exemple, en 1940, a pris des contacts avec Staline dont on peut imaginer que le régime n'était pas terrible... Charles de Gaulle, pour la reconnaissance de la France libre, est allé voir aussi Staline", rappelle Christian Hutin pour qui la bataille principale c’est "abattre Daech et après on verra ".
Même si cette délégation assure être en visite privée, à vocation humanitaire, leur voyage n’en est pas moins très symbolique : une nouvelle fois, des parlementaires français viennent rencontrer les représentants d'un régime honni par l'Elysée. Au programme, une entrevue avec Jihad Lahham, le président du parlement syrien, qui n’hésite pas à s’en prendre directement à la France. Évoquant les frappes françaises contre l’EI, en Syrie, qui, hasard du calendrier, ont commencé au moment même où les parlementaires se trouvaient dans le pays, il les qualifie "d’agression ".
Selon lui, en effet, "ce type d'opération doit impérativement se faire en respect du droit international et de la charte des Nations Unies" et par conséquent être coordonné avec le gouvernement syrien. La visite des trois parlementaires survient de surcroît à un moment où Damas a le sentiment d'être en position de force : le régime a reçu le plein soutien de Moscou, y compris sur le plan militaire.
Emission préparée par Patrick Lovett et Elom Marcel Toble