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Rencontre Obama-Poutine : vers une alliance de raison contre l'EI en Syrie ?

Barack Obama et Vladmir Poutine se sont rencontrés lundi, en marge de l'Assemblée générale de l'ONU. Écarté par les Occidentaux, le président russe entend revenir dans le jeu diplomatique à la faveur de la lutte contre l'EI.

Cela faisait plus de deux ans qu’ils ne s’étaient pas retrouvés en tête à tête officiellement. Barack Obama et Vladimir Poutine avaient rendez-vous lundi 28 septembre en fin d'après-midi pour leur première rencontre officielle depuis plus de deux ans, à New York, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies. Au menu de l’entretien : la Syrie et l’opportunité d’une éventuelle coalition contre l’organisation de l’État islamique (EI), que le président russe appelle de ses vœux.

Au même titre que le discours du président russe à la tribune de l’ONU, la rencontre entre les deux chefs d’État était très attendue : leurs sujets de désaccords sont en effet plus nombreux que les points de rencontre, avec en tête de liste les dossiers syrien et ukrainien. Mais la Maison Blanche affirme aujourd’hui qu'il serait "irresponsable" de ne pas tenter la carte du dialogue avec le chef du Kremlin, et revendique avec ce dernier une approche pragmatique.

"Il s’agit pour les Américains de revoir leur stratégie"

Côté russe, les intentions sont claires : Moscou a des intérêts à défendre en Syrie, notamment la base navale de Tartous, qui constitue son ouverture vers la Méditerranée. La proposition de Vladimir Poutine survient en outre au moment où la Russie a accru de manière visible sa présence militaire en Syrie. Côté américain, un an après la formation de la coalition contre l’EI, force est de constater malgré tout que l’organisation jihadiste "a beaucoup progressé", remarque le général Dominique Trinquard, ancien chef de la mission militaire auprès de l’ONU, sur l’antenne de France 24. "Il est vrai que les jihadistes n’ont pas pris Bagdad ou Damas, mais ils se sont emparés de Palmyre, et Mossoul est toujours entre leurs mains", rappelle le diplomate. "Il s’agit donc pour les Américains de revoir leur stratégie et c’est pour cette raison qu’ils ont récemment annoncé qu’ils voulaient travailler avec les Russes", explique-t-il. À cet égard, il estime qu’il peut se produire "une redistribution des cartes, qu’il sera très intéressant de suivre ".

Cette rencontre entre les présidents américain et russe et le discours de Vladmir Poutine à l’ONU marquent en outre le retour de ce dernier sur la scène internationale. Tenu à l'écart par l'Occident en raison du conflit ukrainien et de son soutien indéfectible au président syrien Bachar al-Assad, il s'est petit à petit replacé au centre du jeu sur la Syrie, déchirée par la guerre civile depuis quatre ans et demi.

Il faut dire que depuis plusieurs semaines déjà, le chef du Kremlin mène une véritable offensive diplomatique. Et il a un plan pour lutter contre l’EI. Dans un entretien accordé à la télévion américaine il en a révélé le point principal : la formation d’une coalition internationale, comprenant les pays de la région, les États-Unis et la Russie. Même si cela revient à soutenir l’homme fort de Damas, également engagé dans une guerre contre ce même ennemi. C’est ce message qu’il devrait délivrer lors de son discours à la tribune de l’ONU.

Fin de quarantaine pour Moscou ?

Et conservant l'initiative, Moscou, par la voix du vice-ministre des Affaires étrangères Mikhaïl Bogdanov, a annoncé lundi une réunion d'un groupe de contact sur la Syrie au mois d’octobre avec la participation des États-Unis, de la Russie, de l'Arabie saoudite, de l'Iran, de la Turquie et de l'Égypte. Tous à la même table, alors que c'était impensable il y a quelques mois encore. Dominique Trinquard observe ainsi que "Poutine repositionne la Russie au centre. Cette fois elle s’invite elle-même, pour ne pas avoir été invitée avant, ce qui est vraiment dommage car elle est une pièce maîtresse dans la résolution de ce conflit, au même titre que l’Iran, que la Turquie et que l’Arabie saoudite".

Exploitant les tergiversations occidentales sur le sort de Bachar al-Assad, Moscou martèle que soutenir ce dernier est le seul moyen de mettre un terme à une guerre qui a déjà fait plus de 240 000 morts. Et Poutine pourrait bien parvenir à son but : alors qu’ils réclament depuis des années le départ du président syrien comme préalable à toute solution, Washington et Paris semblent assouplir leur position. La semaine dernière, le secrétaire d'État John Kerry concédait que le calendrier de la sortie d’Assad était négociable. Et en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, la question du rôle du président dans une éventuelle transition en Syrie est au cœur des échanges diplomatiques.

Interrogé à ce sujet sur France Inter lundi 28 septembre, l’ancien chef de la diplomatie française Hubert Védrine a estimé que "le fait de mettre sur le même plan la lutte contre Daech [autre nom de l'EI] et la lutte contre Assad, même si cela se défend moralement, n’a pas marché du tout". "On n’aurait jamais dû écarter la Russie des négociations", a-t-il déploré. "Ce qui se passe, c’est l’évidence de l’échec de la stratégie occidentale depuis le début. Les Occidentaux doivent revenir à une politique plus réaliste. Ils n’ont plus tellement de levier sur le Moyen-Orient, qui est en train de se désagréger sous nos yeux. Or on ne peut agir le plus efficacement possible sans l’aide de la Russie", explique-t-il. Et de rappeler : "Quand il a fallu abattre Hitler on s’est allié avec Staline, qui avait tué plus de monde qu’Hitler".