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Le lieutenant-colonel Zida, dans la ligne de mire des putschistes burkinabè

Le lieutenant-colonel Zida, Premier ministre du gouvernement de transition et ex-numéro deux du Régiment de sécurité présidentiel, l’unité d’élite auteur du coup d’État au Burkina Faso, était devenue la bête noire de ses anciens camarades d’armes.

Le président intérimaire du Burkina Faso, Michel Kafando, et deux de ses ministres ont été libérés vendredi 18 septembre, après avoir été séquestrés dans le palais présidentiel par les putschistes. Mais le Premier ministre burkinabé, lui, est toujours détenu par les forces du Régiment de sécurité présidentielle (RSP). Aux dernières nouvelles, le lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida se trouvait "en résidence surveillée", à en croire une annonce faite à la presse le 18 septembre par le général Gilbert Diendéré, le nouvel homme fort du Burkina.

Depuis, plus de nouvelles officielles si ce n'est un tweet de l’ambassade américaine à Ouagadougou, en date du lundi 21 septembre au matin, indiquant laconiquement : "Le Premier ministre va bien".

La question de l’état de santé du Premier ministre de la transition pouvait en effet se poser tant l’homme est haï du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), l'unité d'élite de l'armée auteur du coup d'État du 17 septembre. Les putschistes exigent sa démission depuis plusieurs mois. Son départ figure d'ailleurs en bonne place dans le "projet d'accord politique de sortie de crise", présenté lundi matin par la médiation ouest-africaine. Ce qui aiguise la suspicion de la société civile à l’égard de ce plan de sortie de crise, accusé de satisfaire aux exigences des putschistes.

Ex-numéro 2 du RSP

Pourquoi l’homme est-il devenu la bête noire du RSP ? À 50 ans, le lieutenant-colonel Zida a pourtant été numéro deux de la garde présidentielle pendant près de 20 ans. Formé à l’académie militaire de Pô, dont sont issus de nombreux officiers burkinabè, Isaac Zida a intégré le RSP en 1996, un an après sa création par l’ex-président Blaise Compaoré.

Ce dernier voulait alors asseoir son pouvoir, pris à la faveur du coup d’État sanglant de 1987 pendant lequel a été assassiné le très populaire président Thomas Sankara. Dirigés par Gilbert Diendéré depuis sa création, cette brigade d’élite - la mieux équipée du pays - est aussi la plus redoutée : ses membres, réputés ultra-violents, sont soupçonnés de nombreuses exactions sur la population. Depuis plusieurs mois, la société civile réclame la dissolution de cette troupe de 1 300 hommes, extrêmement organisée et hiérarchisée, qui s'apparente désormais à une milice.

Considéré comme le dauphin de Gilbert Diendéré, lui-même très proche de Blaise Compaoré, Isaac Zida eut longtemps la confiance de l’ex-président et de ses miliciens. Jusqu’aux événements de 2014 où le lieutenant-colonel lâche successivement le "père" puis ses frères d’armes. Lors de l’insurrection populaire qui pousse le président Blaise Compaoré à la démission en octobre, l’homme se rallie rapidement à la cause des manifestants.

Le 1er novembre 2014, le lieutenant-colonel, encore inconnu du grand public, s’autoproclame président de la transition avec le soutien des chefs de l’état major et du RSP. Mais trois semaines plus tard, il rend le pouvoir aux civils. Michel Kafando, alors nommé président de la transition, le choisit comme Premier ministre et ministre de la Défense.

Le "traître"

Si le cumul des casquettes peut alors faire craindre une confiscation de l’insurrection populaire par l’armée, Isaac Zida cherche au contraire à se démarquer du régime déchu de Blaise Compaoré. "Zida a dû sentir le vent tourner et pour se maintenir au pouvoir, il savait qu'il était important de maintenir son image auprès de la rue", explique France 24 Benoît Beucher, chargé de recherche à l'université libre de Bruxelles et à l'Institut des mondes africains. 

Après avoir soutenu l’extradition de l’ex-président, Isaac Zida demande la réouverture des instructions sur les assassinats non élucidés de Thomas Sankara et du journaliste Norbert Zongo. Enfin en décembre 2014, il plaide en faveur du démantèlement progressif du RSP, dont des membres sont soupçonnés d’avoir fomenté l’assassinat de Zongo.

>> À lire sur France 24 : "Après le putsch, la veuve de l'ex-président Sankara inquiète pour l'enquête"

Depuis, les incidents avec ses anciens frères d’armes ont été légion. "Zida est devenu un point de crispation important : pour le RSP, il était le traître. Le RSP voulait sa neutralisation et a nourri, ces derniers mois, une réelle animosité à son égard", poursuit Benoît Beucher.

En juin 2015, la gendarmerie a même soupçonné les gardes présidentiels de vouloir faire arrêter Isaac Zida à son retour d’une tournée en Asie. En juillet, pour mettre fin à cette crise de confiance, Michel Kafando finit par retirer au lieutenant-colonel l’important portefeuille de la Défense mais le maintient à la tête du gouvernement. Les deux hommes demandent alors qu’un rapport soit rédigé sur l’avenir du RSP : il sort deux jours avant le putsch, recommandant la dissolution de la garde présidentielle.

La médiation ouest-africaine, elle, a préféré éviter l’épineuse question du sort de la milice. Le plan de sortie de crise la "laisse à l'appréciation du président issu des prochaines élections".