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À Magadan, sur les dernières traces des goulags russes

Nos reporters sont retournés à Magadan, dans l'Extrême-Orient russe, soixante ans après le début du démantèlement des camps staliniens. Ils sont allés au cœur de l'histoire du système des goulags, ni occultée ni assumée.

Magadan se trouve au bout du monde. Au-delà de la Sibérie. À 10 000 kilomètres de Moscou, ce grand village aux abords du cercle polaire avec deux rues principales qui se croisent est la capitale de la Kolyma, région qui symbolise le Goulag, le système concentrationnaire soviétique. Longtemps surnommé "le pays de la mort blanche”, Magadan a longtemps été une contrée dont on ne revenait pas.

Dans l’URSS de Staline, opposants politiques, criminels de droit commun, paysans des républiques satellites y sont envoyés. Esclaves des grands chantiers de l’industrialisation soviétique, ils travaillent dans les mines de la région, riches en or, argent, cuivre, étain, tungstène, mercure… Dans le camp de Butugychag, surnommé la “vallée de la mort”, c’est de l’uranium que les prisonniers doivent extraire, au prix de leur vie.

Ceux qui en sortaient, amnistiés ou exilés à la fin de leur peine, se résignaient à s’y installer. Ainsi, les derniers survivants vivent encore au plus près des anciens camps. Tout comme leurs enfants et leurs petits enfants... Porteurs d’une mémoire que la Russie de Vladimir Poutine voudrait oublier. Une page de l'histoire incompatible avec l’image d’un passé soviétique glorieux que le chef du Kremlin aime tant à vanter.

Cache-cache avec les fantômes de la Kolyma

Soixante ans après le début du démantèlement des camps staliniens, nous sommes retournés à Magadan pour rencontrer les jeunes d'aujourdhui et les survivants d'hier. Pour comprendre quelle place occupe cette mémoire difficile.

Nous avons recueilli leurs témoignages. Nous avons été choqués par la légèreté des historiens officiels qui n’hésitent pas à justifier ces horreurs au nom d’une cause nationale : la grandeur de l’URSS.

Il y a des tournages importants dans la vie d’un journaliste et je crois que celui-là fait partie de ceux qui m’ont le plus marquée. La Kolyma est une région ou je rêvais d’aller depuis longtemps. Petite, chez mes grands-parents à Moscou, on n’en parlait qu’à demi-mot ou avec le robinet d’eau ouvert pour éviter qu’un voisin ou, pire, qu'un mouchard ne l’entende. Tous les Soviétiques savaient ce que c’était. Un synonyme de terreur, d’injustice et de mort.

Marcher à Magadan, aujourd’hui - c’est jouer à cache-cache avec les fantômes de la Kolyma. L'histoire du système concentrationnaire, omniprésente, n'est ici ni occultée ni assumée. Seul une vilaine sculpture, “Le Masque de douleur”, édifiée en hommage aux victimes sur une colline domine la cité de 96 000 habitants. On s’y promène le dimanche en famille…

Une ville de témoins vivants ou le devoir de mémoire ne semble plus résister à la force de l’oubli.

Un grand reportage de Ksenia Bolchakova et Armen Georgian.