![Transferts : la Premier League anglaise "fait un pari sur l'avenir" Transferts : la Premier League anglaise "fait un pari sur l'avenir"](/data/posts/2022/07/20/1658325647_Transferts-la-Premier-League-anglaise-fait-un-pari-sur-l-avenir.jpg)
Alors que le mercato se termine mardi soir en Angleterre, la Premier League a affolé les compteurs cet été. Grâce aux droits TV et à la livre sterling, les clubs anglais ont dépensé sans compter. Décryptage avec un spécialiste.
Le marché des transferts est clos depuis lundi soir en France, en Espagne ou encore en Italie. En Angleterre, en revanche, les clubs peuvent encore effectuer des mouvements jusqu’au mardi 1er septembre, à minuit. Et les équipes anglaises ont été particulièrement actives durant ce mercato : Manchester City n’a pas hésité à débourser 75 millions d’euros pour acquérir le Belge Kevin de Bruyne, tandis que le Français Anthony Martial est attendu à Manchester United pour une somme astronomique comprise entre 60 et 80 millions d’euros. Professeur d'économie à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et membre du club Foot & Stratégie, Pierre Rondeau, nous explique les rouages de cette puissance financière qu'est la Premier League.
France 24 : Combien les clubs anglais ont-il dépensé sur le marché des transferts cet été ?
Pierre Rondeau : C’est sûr que cela dépasse le milliard d’euros. Cette année, une fois que l'on connaîtra les détails et les montants, cela va dépasser la somme de l’année dernière, où l'on était déjà à 1,11 milliard d’euros. Cela va se jouer entre 1,2 et 1,5 milliard.
Est-ce que la redistribution des droits télévisés, qui vont s’élever à 2,3 milliards d’euros par an entre 2016 et 2019, est la seule explication à ces dépenses faramineuses ?
La majorité des clubs anglais, pas seulement les gros comme Manchester United ou Arsenal, effectuent une 'course à l’armement’. Ils veulent tout mettre en œuvre pour rester en Premier League en sachant qu'à partir de l’année prochaine, ils pourront toucher des droits exorbitants. Résultat, les petits clubs qui n’avaient pas beaucoup dépensé jusque-là ont acheté à foison, comme par exemple des joueurs de Ligue 1 à plus de 15 millions d’euros.
Il y a aussi une chose très importante, c’est la valeur de la livre sterling, l'une des monnaies les plus fortes du monde. Elle a un avantage compétitif par rapport à l’euro. Par exemple, pour Anthony Martial, on parle de 36 millions de livres, soit 49 millions d’euros. Cela fait cher, mais les clubs tirent un avantage sur leur pouvoir d’achat grâce à la valeur de la livre.
La troisième chose, c’est que la Premier League n’est peut être pas le meilleur championnat du monde, mais c’est en tout cas le plus médiatisé. Elle fait plus de 100 millions d’audience en Inde et est aussi très suivie en Chine. Tous les clubs arrivent à lier des partenariats régionaux à travers le monde, avec des entreprises étrangères qui acceptent de mettre davantage d’argent sur la table. Chelsea, par exemple, à signé un contrat avec Yokohama, une marque de pneumatique japonaise, absente du marché européen, pour 80 millions d’euros par an. C’est une chose que n’arrive pas à faire la Ligue 1 française.
Mais cela ne représente-t-il pas un risque de payer aussi cher des joueurs aussi jeunes qui n’ont pas encore fait leurs preuves ?
Le risque, c’est que cela ne soit pas soutenable à long terme et que les chaines de télévision, d’ici deux ou quatre ans, disent ‘finalement on s’est trompé, on n’arrive pas à rentrer dans nos frais'. Pour l’instant, il y a un fairplay financier européen et intérieur en Angleterre qui fait que tous ces transferts sont considérés comme solvables. Le risque, c’est d’être trop dépendant par rapport aux droits télévisés.
On pourrait ainsi craindre des faillites de club dans l’avenir ?
Cela s’est déjà produit en Premier League avec Leeds, à la fin des années 90. Le club avait entamé une cotation boursière en tablant sur des recettes futures qui sont imprévisibles. Il n’a pas réussi à les avoir et il a fait faillite. Étant donné que les joueurs signent des contrats de quatre ou cinq ans et que les droits télévisés ont cours jusqu’en 2019, ce qui vient après... on n’en sait rien ! C’est un pari sur l’avenir.
Est-ce qu’on peut craindre aussi une fracture entre les clubs anglais et les clubs des autres pays ?
Depuis quatre ans, il n’y a pas eu de club anglais en demi-finale de la Ligue des champions et l’indice UEFA de l’Angleterre est en chute continue. Cela peut s'expliquer par la redistribution des droits télé, qui est très égalitaire en Premier League, contrairement à l’Espagne. Le premier du championnat reçoit 1,4 fois plus que le dernier, alors qu’en Espagne, il reçoit 15 fois plus. Il y a donc une très forte compétitivité en Angleterre et les équipes misent tout sur le championnat local. En Coupe d’Europe, en revanche, ils n’y arrivent pas car ils sont trop fatigués.
Le problème est le même avec la sélection nationale. En Angleterre, les clubs prennent beaucoup de joueurs étrangers pour être performants dans le championnat local. Face à cette concurrence, les joueurs locaux n’ont pas la chance de jouer et d’être formés. Résultat, c’est le premier championnat du monde en termes de valeur économique, mais le dernier titre de l’équipe nationale remonte à la Coupe du monde 1966.