Trois mois après son sacre cannois, "Dheepan" sort dans les salles françaises mercredi. Ce drame mettant une "famille" de réfugiés tamouls aux prises avec la violence d’une banlieue française est loin d’être le meilleur film de Jacques Audiard.
Ses organisateurs le répètent à l’envi : au-delà du glamour, du tapis rouge et de la rituelle montée des marches, le Festival de Cannes se veut le reflet du monde. Ambition que Joel et Ethan Coen, présidents du jury de la compétition 2015, ont amplement satisfaite en décernant, le 24 mai dernier, la très convoitée Palme d’or à "Dheepan" de Jacques Audiard.
Aucun long métrage en lice pour la récompense ultime ne semblait en effet aussi ancré dans l’actualité internationale que celui du cinéaste français. Alors qu'il sort sur les écrans français mercredi 26 août, le drame de Jacques Audiard fait plus que jamais écho à l’actualité internationale. Le synopsis agrège à lui seul les grands thèmes qui font quotidiennement les titres des sites d’information (comme celui accueillant cet article).
Le film débute au Sri Lanka, où la guerre civile connaît ses dernières heures. Craignant de subir les foudres vengeresses du gouvernement de Colombo, un rebelle tamoul décide de fuir le pays. Accompagné d’une jeune femme et d’une petite fille qu’il fait passer pour son épouse et son enfant, l’ancien combattant séparatiste, qui se fait appeler Dheepan, débarque en France dans l’idée de rejoindre, dans un avenir qu’il espère proche, l’Angleterre.
Rapidement, ses espoirs de vie meilleure vont se fracasser à la dure réalité d’une cité de la région parisienne où la fausse famille trouve refuge. Guerre, rébellion, immigration clandestine, banlieues françaises sous l’emprise de la grande délinquance… Jacques Audiard et son duo de co-scénaristes Thomas Bidegain - Noé Debré auraient voulu coller au plus près du journal télévisé qu’ils ne s'y seraient pas mieux pris.
Papier-peint criard
Pour le réalisateur, le conflit sri-lankais comme la violence des espaces périphériques ne sont que la toile de fond d’une histoire qu’il considère avant tout comme familiale. "Ce qui est apparu assez vite, c'était de ne pas faire de documentaire sur cette guerre civile, ni un documentaire sur les cités, mais considérer ces deux choses comme un papier peint, que ça fasse immédiatement partie du décor", expliquait le futur récipiendaire lors de la présentation de son film sur la Croisette. Reste que le "papier peint" est un peu criard. On peut difficilement choisir d’habiller son récit avec de tels motifs sans craindre de verser dans l’état des lieux social. Jacques Audiard a beau s’en défendre, "Dheepan" dit quelque chose sur la manière dont on perçoit la banlieue française aujourd’hui.
Le film, à première vue, n’affabule rien : désertion des pouvoirs publics, mainmise du grand banditisme sur la vie de la communauté, règlements de compte à main armée, loi du plus fort… Mais il y a quelque chose de dérangeant à comparer ces zones de non-droit à un théâtre de guerre comme le fut, dans ses heures les plus sombres, le Sri Lanka. À dépeindre les cités comme un territoire à même de réveiller les instincts destructeurs d’un Tigre tamoul, "Dheepan" finit par donner corps aux fantasmes de ces "no go zones" françaises en quasi état de guerre. On en oublierait que le film est aussi une histoire d’amour... Jacques Audiard pourra toujours objecter qu’il a réalisé une fable, que son film se présente comme une variation des "Lettres persanes" de Montesquieu, on l’a vu par le passé faire preuve d’un peu plus de finesse.
Que dire également de cette fin naïve et lourdaude qui, sans vouloir en dévoiler le contenu, dépeint le Royaume-Uni sous des traits tellement enjôleurs qu’il en gênerait même ses thuriféraires les plus impénitents ? Venant de la part de ce formidable conteur qu’est Jacques Audiard, cette pirouette aussi inutile que bâclée ne laissa pas d’étonner les festivaliers. Sur la Croisette, la rumeur courut aussitôt que l’épilogue serait modifié pour la sortie du film en salles. Il n’en est rien. On ne touche pas comme ça à une Palme d’or.
Tout auréolé qu’il est de son prestigieux prix, le septième long métrage de Jacques Audiard est loin d’être son meilleur coup. Nul doute qu’il a bénéficié d’une compétition somme toute assez faiblarde. "Un Prophète" et "De rouille et d’os", ses deux précédentes œuvres en compétition, avaient davantage la carrure d’une Palme d’or. Mais les deux fois la distinction avait échappé à son auteur. Les deux fois, elle était revenue à Michael Haneke. Heureusement pour le cinéaste français, cette année, son confrère autrichien ne présentait pas de film à Cannes.
-"Dheepan", de Jacques Audiard, avec Antonythasan Jesuthasan, Kalieaswari Srinivasan, Claudine Vinasithamby, Vincent Rottiers… 1h56.