Face à l’arrivée de milliers de réfugiés, la Macédoine a déclaré l’état d’urgence, avant d'annoncer vendredi qu'elle permettra à des "catégories vulnérables" de franchir sa frontière. Explications de Goran Sekulovski, spécialiste de la Macédoine.
À la frontière entre la Grèce et la Macédoine, les réfugiés sont des milliers, bloqués entre deux pays dépourvus de structures d’accueil. Victimes d’une situation économique difficile, la Grèce comme la Macédoine n’avaient pas inscrit à leur programme l’accueil de Syriens, Afghans, Érythréens, Iraniens ou Pakistanais sur leur sol. La multiplication des crises actuelles et leurs conséquences humanitaires les ont rattrapées.
"Des milliers de réfugiés sont bloqués à la frontière macédonienne et menacés de violence", Human rights watch.
Début août, la Grèce s’est dite "débordée" par le nombre de migrants, dont une bonne partie fuit le conflit syrien, qui accostent tous les jours sur ses côtes, cherchant à rejoindre le Royaume-Uni, l’Allemagne ou encore la Suède.
La Macédoine accuse aujourd’hui les autorités grecques de diriger de façon organisée les migrants vers son territoire. Le pays a décrété jeudi 20 août l'état d'urgence et déployé des forces spéciales de police dans une zone frontalière près de la ville de Gevgelija, pour empêcher les réfugiés d'entrer dans le pays.
Incidents à la frontière macédonienne
Des incidents ont éclaté dans la nuit de jeudi à vendredi entre forces de l’ordre et migrants. Cinq personnes ont été blessées par des tirs de grenades assourdissantes. Les policiers macédoniens ont également fait usage de gaz lacrymogène.
"Nos équipes sont actuellement à Idomeni (à la frontière grecque) et soignent les personnes qui ont été blessées par le shrapnel de grenades assourdissantes tirées par l'armée macédonienne" Médecins sans frontières.
Le Haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU a exhorté vendredi la Grèce à prêter assistance aux personnes "coincées du côté grec de la frontière" et à les aider à "atteindre les structures d’accueil au-delà de la frontière".
La Macédoine s’est elle aussi vu reprocher sa manière d’accueillir les migrants à sa frontière. L’ONU l’a appelée à "mettre en place une gestion de ses frontières qui tienne compte des besoins de protection des réfugiés ainsi qu’à développer des capacités d’accueil suffisantes". Skopje a finalement annoncé vendredi que les autorités permettront à des "catégories vulnérables" de réfugiés de franchir la frontière.
France 24 a interrogé Goran Sekulovski, professeur à l’Institut Saint-Serge, spécialiste de la Macédoine, sur la politique d’accueil des migrants dans ce pays.
France 24 : Comment expliquez-vous l’état d’urgence décrété par Skopje et les violences policières ?
Goran Sekulovski : Les autorités de Skopje ont décrété l’état d’urgence parce qu’elles estiment qu’elles n’ont les moyens ni humains, ni matériels, de subvenir aux besoins de ces réfugiés. Elles se sont inspirées de la Hongrie et de la Serbie pour décider de fermer la frontière.
Les tirs de gaz lacrymogène et de grenades assourdissantes ont sans doute été une réaction contre le gouvernement grec, qui amène les réfugiés en bus jusqu’à la frontière macédonienne.
Le gouvernement macédonien […] s’attendait à ce que la situation soit gérée en Grèce. Il n’était pas du tout préparé à devoir faire face à ce problème […] Le pays connaît 30 % de chômage et a récemment traversé de graves problèmes interethniques. Jusqu’au mois de juin de cette année, il n’y avait même pas de loi sur les réfugiés. Aujourd’hui, un texte prévoit un droit de séjour de transition de trois jours sur le territoire.
La Macédoine se dit incapable d’accueillir les migrants qui se pressent à sa frontière, qu’en est-il réellement ?
Mis à part la Croix-Rouge, il n’existe en Macédoine aucune structure disposée à l’accueil de réfugiés. Mais l’aspect humanitaire a été sous-estimé par le gouvernement qui refuse de voir les choses sous cet angle-là. C’est un paradoxe : faute de trouver une solution humanitaire, les autorités ont choisi une solution inhumaine.
Les habitants en revanche se montre très accueillants. De nombreuses initiatives citoyennes sont mises en place par la population et par les communautés religieuses. Dans les villes de Gevgelija, au sud du pays, et de Tabanovce, à la frontière serbe au nord, les Macédoniens distribuent aux réfugiés de la nourriture, de l’eau et des médicaments.
Ces initiatives pourraient finir par avoir de l’influence sur les décisions du gouvernement. Une solution pourrait par exemple être que les familles qui accueillent chez elles des réfugiés reçoivent une aide financière.
Est-il possible d’obtenir l’asile en Macédoine pour les réfugiés syriens ? Skopje exige-t-elle des critères religieux comme la Slovaquie ?
Entre 30 000 et 40 000 personnes ont déjà transité par la Macédoine et, parmi elles, seulement 850 à 900 y ont fait une demande d’asile. Les réfugiés n’ont pas forcément envie de faire une demande dans ce pays car ils savent que la situation économique y est mauvaise.
La Macédoine est un pays multiconfessionnel. La question religieuse ne se pose pas puisque les deux plus grandes communautés religieuses de Macédoine sont les chrétiens orthodoxes (66 % de la population) et les musulmans (33 % de la population).