
Traqué par l’ensemble des services de sécurité libanais, l’imam salafiste Ahmad al-Assir a été arrêté le 15 août dans l’aéroport de Beyrouth. Accusé d’avoir provoqué la mort de soldats libanais, il risque la peine de mort. Portrait.
Il voulait désarmer le Hezbollah, renverser le régime syrien et rêvait de devenir une figure incontournable de la communauté sunnite du Liban. Il semble désormais très improbable que l’imam salafiste Ahmad al-Assir puisse accomplir son dessein.
Pisté depuis l’été 2013 par l’ensemble de l’appareil sécuritaire libanais, le hors-la-loi le plus recherché du Liban a été arrêté le 15 août dans l’enceinte de l’aéroport international de Beyrouth.
Troquant sa barbe foisonnante et tout habit à caractère religieux pour une épaisse moustache et un look d’intellectuel de gauche de Beyrouth-Ouest des années 1970, il comptait s’envoler vers le Nigéria, via l’Égypte. C’était sans compter sur la vigilance d’un membre de la Sûreté générale, l’organe en charge de la sécurité de l’aéroport, qui, intrigué par son document de voyage palestinien (qui s’avérera faux par la suite), l’a intercepté.
Démasqué après vérifications, Ahmad al-Assir, né en 1968, reconnaît sa véritable identité. Placé aux arrêts et interrogé par les services de sécurité libanais depuis, il devra comparaître devant une cour militaire. La justice libanaise avait en effet requis contre lui, en 2014, la peine de mort pour sa responsabilité dans les affrontements sanglants contre l'armée libanaise, en juin 2013, dans lesquels 17 soldats avaient été tués.
Le Hezbollah dans le viseur
Ainsi s’achève la cavale de cet imam radical, réfugié, depuis cet épisode sanglant, dans le camp palestinien d’Ain el-Heloué, situé dans le sud du Liban. Un sanctuaire pour plusieurs groupes extrémistes dans lequel ni l’armée libanaise, ni aucun autre organe sécuritaire libanais n’a le droit de pénétrer.
C’est au début de l’année 2012 qu’Ahmad al-Assir s’est fait connaître à la faveur de la crise syrienne. Le cheikh salafiste, inconnu jusqu’ici, opte dans un premier temps pour le pacifisme. Il organise des sit-in à Saïda (sud), la troisième ville du Liban, en soutien à l'opposition syrienne. Il lance également des appels au désarmement du Hezbollah, le puissant mouvement politico-militaire chiite. Il accuse ce dernier d’avoir, avec l’aide de son parrain iranien, marginalisé la communauté sunnite au Liban et de soutenir le président syrien Bachar al-Assad, en combattant la rébellion sunnite en Syrie.
Rapidement, il devient la coqueluche des médias locaux qui, intrigués par ce prédicateur osant défier le parti de Hassan Nasrallah, relaient ses manifestations qui n’attirent pourtant que quelques centaines de partisans. Se montrant tout sourire devant les caméras, répondant volontiers aux demandes d’interview, et roulant à vélo avec ses comparses, il acquiert une notoriété non négligeable et sa page Facebook rencontre également un certain succès. Ses discours, de plus en plus sectaires, parviennent à trouver un écho dans plusieurs bastions sunnites du pays bien au-delà de sa mosquée Bilal ben Rabah, située dans la banlieue de Saïda. En quelques mois, Ahmad al-Assir parvient à s’inscrire dans le paysage politique libanais.
Mais à force de surfer sur la frustration de la rue sunnite, sans jamais recevoir cependant l'appui de la majorité de sa communauté, et de provoquer le Hezbollah, il fait grimper la tension entre les deux parties dans un pays multiconfessionnel déjà sous pression. En novembre 2012, une altercation entre des partisans du cheikh radical et des membres du parti chiite, au sujet d’affiches à la gloire du Hezbollah, dégénère en un affrontement armé qui fait trois morts.
L’armée libanaise, une ligne rouge
Échaudé, Ahmad al-Assir change de stratégie et s’affiche aux côtés d’hommes armés de Kalachnikov, avant de se replier quelques mois plus tard dans sa mosquée transformée en fortin. "Les provocations répétées d’al-Assir à l’égard du Hezbollah peuvent finir par radicaliser les esprits et provoquer des incidents bien plus graves dans l’ensemble du pays", avait très justement prédit à l’époque une source sécuritaire libanaise, interrogée par France 24.
La déflagration intervient plusieurs mois plus tard, le 23 juin 2013. Ce jour-là, des partisans du religieux attaquent un barrage de l'armée à Abra, le fief de leur leader dans la banlieue est de Saïda. La ligne rouge étant franchie, les militaires libanais, appuyés par l'opinion publique, décident d’en finir avec Ahmad al-Assir et sa centaine de partisans. Ils prennent d’assaut le secteur de sa mosquée, repris aux miliciens au bout de 24 heures, après des affrontements à la mitrailleuse et à la roquette. Ahmad al-Assir, qui accusera plus tard le Hezbollah d’avoir épaulé l’armée au cours de cette opération, disparaît mystérieusement alors que son QG est encerclé.
De plus en plus radical, il fera, les mois suivants, quelques apparitions via des vidéos et des messages audios postés sur Internet, dans lesquels il crie au complot, appelle au jihad contre le Hezbollah et supplie les soldats libanais sunnites de faire défection. Une information relayée localement avait même évoqué sa future nomination comme émir de l’organisation de l’État islamique (EI) au Liban.
Des sources sécuritaires ont confié aux médias locaux qu’Ahmad al-Assir a lui-même livré, lors de son interrogatoire, quelques-uns de ses anciens compagnons, ce qui a conduit, depuis son arrestation, à des interpellations dans plusieurs régions du Liban.
Outre les crimes dont il est accusé, l’imam salafiste devra également s’expliquer sur les origines des fonds qui lui ont permis de s’entourer d’une milice armée et de se cacher pendant deux ans. Des révélations qui pourraient faire grand bruit au Liban, et mettre à mal ses éventuels soutiens politiques locaux qui l’ont instrumentalisé pour lutter contre l’influence du Hezbollah.