envoyé spécial à Calais et Folkestone – La "crise des migrants" atteint les côtes anglaises. Au Royaume-Uni, dans la ville de Folkestone située à deux pas du tunnel sous la Manche, la population est divisée sur l’accueil à réserver aux clandestins. Reportage.
Dans le sud de l’Angleterre, au cœur de la petite bourgade de Folkestone qui fait face à Calais, les esprits s’échauffent autour de la délicate question des migrants. Dans cette paisible cité portuaire au charme un tantinet désuet, le sujet est sur toutes les lèvres. Et pour cause : la ville se trouve à quelques kilomètres seulement l’endroit où débouche l’Eurotunnel, trait d’union entre la France et cet "eldorado britannique" qui fait rêver des milliers de migrants coincés dans l’Hexagone.
Depuis début juin, neuf personnes sont mortes en tentant d’embarquer clandestinement sur les navettes d’Eurotunnel à destination du Royaume-Uni. Une "situation préoccupante", selon le Premier ministre britannique David Cameron, à laquelle Paris et Londres tentent ensemble de trouver une issue.
À Folkestone, les habitants ne croisent que peu de clandestins. Dès que des migrants parviennent à traverser le tunnel, la plupart d'entre eux partent rapidement vers Londres et les autres grandes villes rejoindre leur famille et trouver du travail. Pourtant, samedi 1er août, la ville a illustré à elle seule les tensions que la question migratoire engendre dans le pays. Une cinquantaine de militants d’extrême droite, appartenant au mouvement patriotique Britain First (La Grande-Bretagne avant tout) ou à la Ligue de défense britannique, avaient choisi Folkestone pour clamer haut et fort leur rejet des migrants venus de Calais. Face à eux, un groupe composé de militants d’extrême gauche, scandaient, eux, leur soutien. Les forces de l’ordre ont évité de peu les affrontements.
"Il pourrait y avoir des membres de l’EI parmi les migrants"
Dans les rangs des nationalistes, John, un quadragénaire au visage masqué dit craindre l’arrivée de terroristes. "On ne voit ni femmes, ni enfants, ni personnes âgées parmi les migrants, note ce militant de la Ligue de défense. Pour moi, ces migrants sont des hommes en âge de combattre. Pourquoi est-ce qu’ils viennent dans notre pays ? Je pense qu’il peut y avoir des membres de l’organisation de l’État islamique parmi eux."
Pour Paul Golding, chef de file de Britain First, les clandestins viennent profiter des largesses du système britannique : "S’ils étaient français et qu’ils fuyaient la tyrannie, nous leur accorderions l’asile temporaire. Mais ce sont des migrants qui viennent du bout du monde pour pomper nos allocations", tempête-t-il.
En face, dans les rangs de la manifestation de soutien aux clandestins, le ton change radicalement. "Les migrants sont déshumanisés", déplore Bridget Chapman, présidente du groupe Folkestone United, association à l’origine du rassemblement. "David Cameron a parlé de 'nuées', c’est un mot que l’on utilise généralement pour parler d’insectes, pas d’êtres humains. Une éditorialiste du "Sun" a pour sa part comparé les migrants qui tentent de traverser la Méditerranée à des cafards", se désole-t-elle. "Et les médias véhiculent aussi des mensonges lorsqu’ils affirment qu’un groupe de 2 000 migrants a essayé, d’un seul bloc, de prendre d’assaut le tunnel. C’est irresponsable de donner cette impression".
"Un véritable cauchemar"
Certains habitants de Folkestone ne se montrent pas hostiles à l’égard des migrants eux-mêmes, mais à l’égard des perturbations que leur passage dans le tunnel crée.
"Je n’ai aucun problème avec les immigrants, mais j’ai un problème avec le chaos, explique ainsi un quadragénaire. Les perturbations de l’Eurotunnel ont contraint les autorités à fermer l’autoroute pour la transformer en parking pour les camions et les locaux ne peuvent plus aller nulle part", explique-t-il.
James Spinks, réceptionniste de l’hôtel The Grand – un imposant bâtiment, vestige d’une époque où Folkstone était une destination prisée de l’English Riviera – tient un discours similaire. "J’ai dû annuler plusieurs voyages à Ashford [une ville des environs, NDLR] à cause des problèmes de trafic. J’ai même raté un mariage à cause de ça. En ville, ça va, mais si vous voulez vous déplacer, ça peut être un véritable cauchemar", lance le jeune homme de 23 ans.
Sur la voie de service de l’Eurotunnel, où se tient la manifestation de soutien aux migrants, Bridget Chapman lâche : "C’est un désagrément léger en comparaison de ce qu’ont dû endurer la plupart des migrants".
Adapté de l'anglais par Charlotte OBERTI