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Mort de l'avocat américain Samuel Pisar, célèbre survivant d'Auschwitz

Le célèbre avocat américain Samuel Pisar est décédé à 86 ans. Il était l'artisan du "pisarisme", théorie selon laquelle les échanges entre blocs de l'est et de l'ouest pendant la Guerre froide permettent de juguler le conflit.

L'avocat et écrivain américain Samuel Pisar, qui fut l'un des plus jeunes et célèbres survivants de la Shoah, est mort lundi à New York à l'âge de 86 ans. C’est le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) qui a annoncé la nouvelle et dont le président, Roger Cukierman, a dit perdre "un ami".

Samuel Pisar est né le 18 mars 1929 à Bialystok, dans le nord-est de la Pologne. Son enfance est brisée par la double invasion, allemande et soviétique, du pays. Sa famille connaît l'enfer du ghetto, avant la déportation. A 12 ans, Samuel Pisar n'est qu'un "petit sous-homme que les nazis avaient condamné à mourir", comme il le racontera en 1979 dans son livre "Le sang de l'espoir".

Mais sa mère le sauve des chambres à gaz en lui mettant des pantalons longs, plutôt que des culottes courtes, le faisant ainsi passer pour un homme. Il passe par les camps de Majdanek, Auschwitz et Dachau, affrontant les terribles marches de la mort en 1945, avant d'être découvert, "squelettique", par un tankiste américain dans un bois près de Munich.

À 16 ans, il est un des plus jeunes rescapés des camps de la mort. Sa famille a été décimée, tout comme les 500 camarades de son école. Pendant deux ans, il erre dans l'Allemagne occupée, vendant du café au marché noir. Recueilli par un oncle et une tante à Paris, il est envoyé dans une autre branche de la famille, en Australie.

Maillon ouest-est

Il se lance dans les études avec le même acharnement qu'il a mis à survivre dans les camps. À Harvard, il publie une thèse de doctorat sur les problématiques de la coexistence entre l'Est et l'Ouest. Il gagne le prix de l'université, ce qui lui vaut d'être remarqué par un jeune sénateur, John Fitzgerald Kennedy, qui l’enrôle dans son équipe de campagne en 1959, puis fait de lui un conseiller pour la politique économique internationale quand il accède à la Maison-Blanche.

Devenu citoyen américain en 1961 par vote du Congrès, une procédure exceptionnelle, il défend la thèse selon laquelle la multiplication des échanges, notamment commerciaux, entre les Etats-Unis et l'URSS est un moyen de "moduler" la guerre froide. Cette théorie est bientôt connue sous le nom de "pisarisme".

Polyglotte, il devient un des plus grands avocats internationaux, interlocuteur presque obligé dans la négociation des contrats commerciaux entre les deux grandes puissances. Il conseille des fondations, des firmes mais aussi des stars d'Hollywood comme Elizabeth Taylor, ou encore le pianiste Arthur Rubinstein et le fondateur d'Apple Steve Jobs.

Président-fondateur du comité français de l'Institut Yad Vashem (qui commémore à Jérusalem les morts de l'Holocauste), ambassadeur de l'Unesco pour l'enseignement de la Shoah et des génocides, ce père de quatre enfants se fait un devoir de témoigner que "l'homme est capable de tout quand il perd sa boussole morale", comme lors du procès de l'ancien haut fonctionnaire du régime de Vichy Maurice Papon en 1998.

Mais au contraire d'autres rescapés, il estime que la Shoah l'a "plié" sans le "briser" et son message est toujours teinté d'espoir dans la "ressource humaine", titre d'un des ses livres publié en 1983.

"Un homme au destin exceptionnel"

Samuel Pisar était bien connu en France, où il a vécu à plusieurs reprises et été élevé à la dignité de grand officier de la Légion d'honneur. Jacques Chirac avait cité sa contribution à la mémoire du génocide juif dans son fameux discours du Vel d'Hiv en 1995, soulignant la nécessité que la France se souvienne, "pour que le sang de l'Holocauste devienne, selon le mot de Samuel Pisar, le +sang de l'espoir+".

Dans un communiqué, François Hollande a salué "un homme au destin exceptionnel qui traversa les tragédies du siècle dernier avec un courage et une soif unique de vivre et de faire avancer le monde". Ambassadeur de l'Unesco pour l'enseignement de la Shoah et des génocides, "Samuel Pisar s'était voué à l'impérieuse obligation de transmettre ce qu'il avait vécu et avait dédié ainsi son parcours hors du commun à la mémoire de celles et de ceux passés par l'horreur des camps nazis."

Samuel Pisar avait donné une interview à France 24 (en anglais) en janvier 2015 à l'occasion des commémorations du 70e anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz-Birkenau.

Avec AFP