
Les chances du milliardaire Donald Trump de ravir l’investiture républicaine pour la présidentielle de 2016 sont quasi nulles. Mais sa rhétorique incendiaire risque de laisser des traces dans la classe politique américaine.
On le disait incapable de tenir la cadence et, pourtant, Donald Trump tient toujours la corde dans la course à l’investiture républicaine en vue de la présidentielle américaine de 2016. Malgré les tollés suscités par ses sorties xénophobes - contre les Mexicains notamment - et ses attaques peu délicates à l’encontre de ses adversaires républicains ou des personnalités politiques de premier plan comme Hillary Clinton et John McCain, l’homme d’affaires continue de truster les sondages.
Le 20 juillet, une enquête d'opinion menée au niveau national pour le "Washington Post" et ABC créditait ainsi l’impétueux milliardaire de 24 % des intentions de vote chez les électeurs républicains potentiels. Loin devant Scott Walker (13 %) et Jeb Bush (12 %), ses deux seuls adversaires parmi les 15 autres prétendants républicains à dépasser la barre des 10 %.
Dans les deux États où le coup d’envoi de la primaire républicaine sera donné en février 2016, Donald Trump est également en bonne position. Selon un sondage NBC News, le natif de New York fait figure de favori dans le New Hampshire (21 %) et talonne Jeb Bush dans l'Iowa, avec 17 % des intentions de vote contre 19 % pour l’ancien gouverneur de Floride.
Aussi fulgurant qu’éphémère
En dépit de ces sondages favorables, aucun commentateur politique n’oserait toutefois miser sur une victoire de Donald Trump à la primaire. "La raison pour laquelle il domine les sondages, c’est qu’il dit de manière frontale des choses que les autres candidats républicains n’osent pas dire. En outre, comme il est un businessman à succès, il s’attire pas mal de soutiens financiers. Cette conjonction de facteurs fait qu’il semble aujourd’hui être en tête mais ce n’est qu’une avance artificielle. Donald Trump n’est qu’un feu de paille", affirme à France 24 Anne Deysine, professeure à l’université Paris Ouest-Nanterre et auteur de l’ouvrage "La Cour suprême des États-Unis" (éd. Dalloz).
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Même son de cloche chez Jean Card, consultante américaine spécialiste de la communication en politique. "Les saisons présidentielles commencent souvent en étant dominées par un ou deux outsiders à la rhétorique incendiaire. Ils brûlent de mille feux pendant un moment, puis disparaissent", écrit-elle dans les colonnes d’"US News". Rien qu’en 2011, plusieurs prétendants à l’investiture républicaine aux prises de positions outrancières connurent, dans les sondages, des ascensions aussi fulgurantes qu’éphémères. Indécrottable pourfendeuse de l’homosexualité et de la sécurité sociale, Michele Bachmann fut un temps érigée en phénomène électoral avant d’essuyer de sérieux revers dans les urnes. Idem pour le trublion ultra-libéral Herman Cain, magnat de la pizza qu’on soupçonna s’être inspiré du jeu vidéo Sim City pour élaborer son programme économique.
Ainsi, pour les observateurs, Donald Trump devrait finir, comme Bachmann et Cain avant lui, par faire les frais d’un sursaut de l’électorat républicain. "Un moment, le réalisme va se réinstaurer car la base va vouloir quelqu’un qui a des chances de l’emporter face à un démocrate", commente Anne Deysine. D’autant qu’en face, il ne fait que peu de doutes que l’expérimentée Hillary Clinton soit investie par son parti pour mener la course à la Maison Blanche.
Une influence toxique
Reste que l’exposition médiatique dont bénéficie "The Donald" laisse craindre une surenchère ultra-droitière au sien du Grand Old Party (GOP). "Le Parti républicain a nourri la rhétorique anti-immigrés et xénophobe depuis des années, mais il a essayé de le faire de manière camouflée, en brandissant les arguments du respect de la loi et de l’ordre public. Trump fait voler tout cela en éclat", estime Charles Blow, chroniqueur au "New York Times", cité par "Libération". D’aucuns redoutent ainsi que le débat télévisé qui devrait voir se confronter, le 6 août prochain sur Fox News, les 10 candidats républicains les mieux placés dans les sondages - et donc Donald Trump - n’offre l’image d’un parti outrancier et clivant.
Pis, certains craignent que ce ne soit carrément le paysage politique américain qui paie les pots cassés des élucubrations de l’égocentrique businessman. "Trump n’est pas qu’une grande gueule. La plupart des choses qu’il dit sont réellement toxiques. Cela prend le pas sur toute forme de gentillesse et de compassion, sans apporter la moindre solution politique sensée et constructive. Certains diront que cela suscite le débat, mais cela insuffle aussi les pires sentiments au sein de la population", déplore sur le site de la chaîne CNN l’éditorialiste Frida Ghitis, qui estime que le spectacle offert par l’empereur de l’immobilier renvoie une image peu flatteuse des États-Unis.
"L’image de la politique américaine est déjà mal en point, enfonce Anne Deysine. Certes, Barack Obama a réussi à restaurer l’image du pays sur le plan international, mais en termes de politique intérieure tout le monde a pu voir, à la faveur des blocages au Congrès, une bipolarisation des extrêmes qui n’ont aucun désir de compromis. Donald Trump ne fait qu’en rajouter qu’une couche."
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Pour Frida Ghitis, le succès actuel de l’agitateur new-yorkais ne doit toutefois pas être pris à la légère. S’il ne parvient pas, comme on le prédit, à ravir l’investiture républicaine, Donald Trump pourrait concourir à la présidentielle en tant que candidat indépendant. L’homme d’affaires, qui se dit à la tête d’une fortune personnelle de 10 milliards de dollars, a plusieurs fois laissé entendre que ses finances lui permettraient ce luxe.
"Ceux qui pensent que les candidatures des milliardaires narcissiques sont voués à l’échec devraient se rappeler ce qui s’est passé en Italie, écrit l’éditorialiste. Les Italiens ont enduré pendant des années le règne de l’ancien Premier ministre Silvio Berlusconi qui n’était qu’au service de sa personne." Et de conclure : "Le défi de toute démocratie est de s’assurer qu’elle peut résister à la machination des démagogues et à leurs incendiaires stratégies de séduction. Le monde entier va regarder si les électeurs américains sont capables de se montrer supérieurs à la quête d’ego d’un maître de la manipulation."