
Le mur érigé à la frontière entre la Tunisie et la Libye par le gouvernement d’Habib Essid pour tenter d'endiguer le terrorisme n'est pas du goût des habitants qui vivent pour beaucoup de la contrebande. Reportage.
Touchée en quelques mois par deux attaques terroristes qui visaient des touristes (au musée du Bardo et à Sousse), la Tunisie a décidé d'ériger un mur à sa frontière libyenne pour lutter contre le terrorisme – les auteurs de ces attentats étant passés par des camps d'entraînement jihadiste en Libye.
Le mur de sable dressé sur 186 km à la frontière tuniso-libyenne suscite la colère et l’amertume de nombreux Tunisiens. L’édifice voulu par le gouvernement d’Habib Essid destiné "à endiguer la menace terroriste" venue de la Libye voisine où la percée de l’État islamique se confirme chaque jour, a aussi mis un frein à l'économie locale où la contrebande fait vivre la majorité des habitants. Dans ces régions frontalières, 20 % de la population vit du marché noir. Une véritable économie parallèle qui pèse l'équivalent d’un milliard de dollars par an.
Les habitants parviennent tout de même à profiter de quelques zones poreuses pour poursuivre leur commerce illégal avec la Libye. Et pour maintenir la paix sociale, la contrebande est tolérée par les autorités locales tant que le trafic ne concerne pas des produits dangereux.
La police et les contrebandiers main dans la main
À Ben Guerdane, capitale tunisienne de la contrebande, de nombreux habitants n’hésitent pas à franchir la frontière pour acheter des produits à moindre coût en Libye. Miloud, un ancien agent de change est de ceux-là. Il s’est reconverti dans le trafic d’essence. "Ça, à la station essence, c’est 40 dinars, moi je le vends à 15 !", se vante le jeune Tunisien.
Et d’ajouter, "l’armée tunisienne c’est 30 000 soldats, nous on est 120 000 soldats, et on connaît la région comme notre poche ! Il faut qu’ils coopèrent avec nous. Ils ramènent des soldats du Nord qui ne connaissent pas la carte de la Tunisie, nous on sait tout !"
Face à la menace terroriste, la police sait en effet qu’elle peut compter sur la coopération d’un grand nombre d’acteurs du marché noir. C’est ainsi que policiers et contrebandiers se retrouvent à coopérer étroitement pour éviter que le chaos libyen ne déborde en Tunisie.
Ben Guerdane, 70 % de chômeurs
"Des centaines de commerçants passent chaque jour à Ben Guerdane, confirme un commandant de la police de la ville. Tous les trucs dangereux, les drogues, les armes, ça passe pas par ici, ça passe par le désert. Y a deux-trois mois, on a trouvé des armes dans un entrepôt d’olives. Toutes les semaines on trouve des kalachnikovs. […] Sans les gens d'ici on ne peut rien faire, et eux ne peuvent rien faire sans nous !"
Les gens viennent de loin pour y faire leurs emplettes de l’année. La police contrôle les allées et venues mais leur priorité, ce sont les armes et les jihadistes. "Ici à Ben Guerdane, on a 70 % de chômeurs, déplore un vendeur du marché. Que veux-tu que les gens fassent ? Ne vaut-il mieux pas qu’ils gagnent un peu d’argent en faisant du commerce d’essence plutôt que d’être sans-le-sou ou de commettre des vols? Ici on est contre le terrorisme, on est pour l’État tunisien et pour la sécurité ! On est même les premiers soldats du pays !"