
Le Premier ministre tunisien a annoncé vendredi qu'un millier de personnes avaient été arrêtées depuis l’attentat du Bardo en mars. Un coup de filet aussi massif que médiatique qui fait aussi craindre un risque pour les libertés fondamentales.
Alors que des experts de l'ONU ont appelé vendredi 10 juillet à endiguer le flux de jeunes Tunisiens ralliant le jihad à l'étranger, le gouvernement de Tunis a annoncé de nouvelles mesures sécuritaires, confirmant ainsi le durcissement de sa politique à l’égard des jihadistes. Le Premier ministre tunisien Habib Essid a annoncé dans la nuit du 9 au 10 juillet qu’un millier de terroristes présumés avaient été arrêtés depuis l’attaque du musée du Bardo le 18 mars dernier. Une opération accompagnée de l’imposition d’une interdiction de sortie du territoire pour 15 000 individus, ainsi empêchés de rejoindre les zones de conflits.
"Ce coup de filet est massif car il a eu lieu en à peine deux semaines", estime Hamza Meddeb, chercheur au Carnegie Middle East Center, interrogé par France 24. D’après les chiffres de l’ONU, le nombre de jihadistes tunisiens, notamment en Syrie et en Libye, dépasserait les 5 500. Les arrestations annoncées par le gouvernement tunisien représenteraient donc 18 % des présumés terroristes du pays. Pourtant pour le chercheur, si le nombre d’individus arrêté est important, il ne s’agit pas d’un "sursaut sécuritaire" de la Tunisie, mais d’un "virage" amorcé depuis plusieurs années déjà.
Ces arrestations s’inscrivent dans la ligne de précédentes opérations menées à long terme par les autorités tunisiennes, dans les milieux salafistes notamment. "Les précédents coups de filet avaient été effectués dans les mois suivant août 2013, quand l'organisation Ansar al-Charia a été qualifiée de groupe terroriste", précise Hamza Meddeb. Certaines organisations des droits de l’Homme estiment à 6 500 le nombre d’arrestations depuis 2013, sans compter ce nouveau millier.
Crainte pour les droits de l’Homme
Cette fois, très peu de détails ont encore filtré sur l’identité des individus arrêtés ou sur leur degré d’implication dans les attaques terroristes du Bardo ou de Sousse. "Suffit-t-il d’avoir une pratique religieuse assidue ? Ou les autorités se sont-elles basées sur les rapprochements avec des courants de pensée telle que salafisme ?", interroge Hamza Meddeb qui s’appuie sur des éléments de réponse fournis par des avocats et des organisations de défense des droits de l’Homme.
Car si il y a certainement une nécessité d’adopter des mesures sécuritaires, estime-t-il, cela s’accompagne de craintes émises par les acteurs de la société civile. Ils s’inquiètent de voir le gouvernement tunisien sacrifier une partie des droits humains et des libertés fondamentales. Avant même cette nouvelle annonce, neuf ONG, dont HRW, Amnesty International et Reporters sans frontières, ont adressé le 7 juillet une lettre au Parlement tunisien sur le nouveau projet de loi anti-terroriste du gouvernement.
"Le traitement sécuritaire ne fait qu’alimenter cette colère sociale"
D’après le chercheur du Carnegie Middle East Center, la question du terrorisme et de la radicalisation en Tunisie "mérite des réponses qui ne peuvent pas se réduire au domaine sécuritaire". Ainsi selon le dernier rapport de la Banque mondiale, 33 % des jeunes Tunisiens sont sans emploi ou sans formation, un des taux les plus élevés d’Afrique du Nord : "Nous sommes face à une jeunesse désenchantée, sans réelle perspective d’avenir, ce qui entraîne un ressentiment antisystème chez eux. Le traitement sécuritaire ne fait qu’alimenter cette colère sociale."
Manque de coordination
Par ailleurs, Hamza Meddeb pointe un autre dysfonctionnement de la lutte contre le terrorisme en Tunisie : le gouvernement tunisien ne dispose pas d’organe qui centralise cette mission, mais d’une multiplicité d’acteurs dont la coordination n’est pas assurée. L’information ne circule pas toujours en temps et en heure entre les renseignements militaires et la sécurité intérieure, ce qui nuit à l’efficacité des missions. Il dénonce également un ministère de l’Intérieur "figé depuis la chute de Ben Ali", là où il devrait avoir été réformé pour servir les intérêts du pays et non celui d’un régime.
Depuis l’attaque de Sousse, d’autres pays mettent en doute l’efficacité des mesures de sécurité tunisiennes. Le ministère britannique des Affaires étrangères a ainsi déconseillé jeudi à ses ressortissants de se rendre en Tunisie, sauf en cas de nécessité, en raison de la probabilité jugée élevée d'un nouvel attentat. Londres estime que les mesures prises par les autorités tunisiennes ne suffisent pas à garantir la sécurité de ses ressortissants voyageurs. Vendredi, le Danemark a donné les mêmes consignes à ses citoyens.