
Ulcérée par les différents bilans annoncés lors de la série d'attaques perpétrée la semaine dernière dans le Sinaï, la présidence égyptienne souhaite sanctionner les journalistes dont les chiffres contredisent les communiquées officiels.
En matière d’attaques terroristes, les journalistes égyptiens devront bientôt se baser sur une seule source : les communiqués officiels. Le président Abdel Fattah al-Sissi, qui avait promis une législation plus dure après l'assassinat du procureur général le 29 juin, devrait en effet promulguer, dans les prochains jours, une loi qui sanctionnera les journalistes donnant des bilans d'attentats jihadistes qui contredisent ceux dressés par les autorités du Caire.
L'armée égyptienne a procédé, samedi 4 juillet, à des frappes aériennes dans le Sinaï, tuant 12 insurgés, a-t-on appris de sources au sein des services de sécurité, alors que le président égyptien effectuait une visite officielle dans cette province, théâtre depuis plusieurs jours d'affrontements meurtriers.
Les sources ont précisé que les frappes avaient pris pour cible des insurgés près de Cheikh Zoueïd et qu'elles avaient tué 12 activistes et détruit des caches d'armes et d'explosifs. Les mêmes sources ont expliqué que les forces de sécurité avaient trouvé environ 500 kg d'explosifs dans un tunnel près de la frontière entre l'Égypte et la bande de Gaza.
C'est dans cette région que le groupe armé Province du Sinaï, qui a fait allégeance à l'organisation État islamique (EI), est le plus actif. Mercredi, l'armée égyptienne a annoncé qu'au moins 100 activistes et 17 soldats avaient été tués dans des combats dans le nord de la péninsule.
Le gouvernement a déjà approuvé le projet de loi, dont le contenu a été diffusé dans plusieurs quotidiens du pays. L'article 33 prévoit au moins deux ans de prison pour ceux qui "rapportent de fausses informations sur des attaques terroristes qui contredisent les communiqués officiels". La loi permettra également la possibilité d'une expulsion ou d'une assignation à résidence.
Pour le "moral" du pays
Selon le ministre de la Justice, Ahmed al-Zind, la loi est en partie née de la couverture médiatique de l'attaque, le 1er juillet dans le Sinaï, d’une branche affiliée au groupe jihadiste État islamique (EI) contre des soldats. Le porte-parole de l'armée avait alors affirmé que 21 militaires avaient été tués dans les combats. Des responsables de la sécurité avaient, pour leur part, annoncé la mort de 70 soldats et civils.
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"Le jour de l'attaque dans le Sinaï, certains sites ont parlé de 17 soldats tués, puis 25, puis 40, puis 100", a déclaré le ministre de la Justice, estimant que cette couverture avait affecté le "moral" du pays. "Le gouvernement a le devoir de protéger les citoyens des fausses informations", a-t-il poursuivi, espérant que cette nouvelle loi ne soit pas interprétée comme une atteinte à la liberté de la presse.
Lors d'une visite surprise dans le Sinaï samedi, Abdel Fattah al-Sissi a lui-même critiqué la couverture des médias "qui ont présenté une fausse image de l'Égypte".
"Article dangereux"
Si la grande majorité des médias soutient le gouvernement, le syndicat des journalistes a cependant dénoncé ce projet de loi, y voyant "de nouvelles restrictions pour la liberté de la presse". "C'est un article dangereux qui viole la Constitution, a-t-il indiqué dans un communiqué. Cela viole le droit du journaliste à rechercher une information de différentes sources [...] cela autorise l'exécutif à agir en tant que censeur."
Depuis deux ans, le gouvernement est accusé de museler la liberté de la presse. Selon le Comité de protection des journalistes (CPJ), au moins 18 journalistes, essentiellement accusés d'appartenir aux Frères musulmans, dont est issu l’ancien président condamné à mort Mohamed Morsi, étaient emprisonnés au 1er juin en Égypte. Il s'agit, selon l'ONG, d'un nombre record depuis que le CPJ a commencé à les recenser en 1990.
Avec AFP et Reuters