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"Les Mille et Une Nuits - L'Inquiet" : si l'austérite portugaise m'était contée

Film protéiforme, le premier volet des "Mille et Une Nuits" que Miguel Gomes consacre à l’austérité portugaise mêle réel et imaginaire avec une jouissive liberté de ton. Un récit foisonnant comme réponse à la fable du sacrifice économique.

Chaque mardi, France 24 se penche sur deux films qui sortent dans les salles françaises. Cette semaine : "L'Inquiet", premier volet de la fresque des "Mille et Une Nuits" que Miguel Gomes a consacré aux ravages de l'austérité au Portugal ; et le film choral indien "Masaan", premier long-métrage de Neeraj Ghaywan.

Pour Miguel Gomes, il existe deux sortes de fictions : les bonnes et les mauvaises. Parmi ces dernières, il en est une qui exaspère particulièrement le cinéaste : celle qui voudrait faire croire aux bienfaits de la cure d’austérité administrée au peuple portugais.

Pour faire pièce à ce qu’il considère comme une affabulation, l’auteur du sublime et hypnotique "Tabou" (2012) a décidé de montrer la réalité de son pays passé sous les fourches caudines des coupes budgétaires. Non pas à travers le prisme du documentaire ("il y a la télévision pour cela", dit-il), mais sous une forme hybride mêlant réel et imaginaire. Fable contre fable… le cinéaste portugais joue ici à armes égales.

Pour nourrir son récit, Miguel Gomez a travaillé durant 14 mois avec trois journalistes qui lui signalaient des histoires symptomatiques du Portugal d’aujourd’hui. Dans l’incapacité de faire le tri parmi la somme de faits qui lui ont été rapportés, le réalisateur a bien failli jeter l’éponge. C’est lui qui le dit dès le début du film, se mettant lui-même en scène dans une truculente séquence où on le voit fuir le tournage.

Comme il ne parvient à prendre en charge la narration, il demande donc à Schéhérazade, conteuse des mythiques "Mille et Une Nuits", la mère des fictions, de s’y coller. Commence alors véritablement "L’Inquiet", premier volet de la monumentale fresque en six heures et trois volumes composée par Miguel Gomez.

Colossal brouhaha

"Ô Roi bienheureux, on raconte que dans un triste pays parmi les pays…", débute ainsi chacune des histoires. Et des histoires, il y en a dans "L’Inquiet". Elles s’enchâssent, se répondent, s’entrechoquent mais ne se vampirisent pas. Tout le monde trouve sa place : les anciens ouvriers des chantiers navals de Viana do Castelo, le coq assigné en justice pour tapage nocturne, l’amoureuse pyromane, les membres de la Troïka atteints de priapisme en pleine renégociation de la dette portugaise, les apiculteurs en détresse face à l’invasion des guêpes tueuses d’abeilles, le syndicaliste hypocondriaque, la baleine échouée qui explose sur une plage…

"Le Portugal ne peut financer vos délires", lance, durant le film, un investisseur à Miguel Gomes. Sauf que "Les Milles et Une Nuits" ne sont pas un galimatias d’auteur-autiste mais un colossal brouhaha qui élève la parole plutôt qu’elle ne l’étouffe. Telle celle de ces néo-chômeurs - appelée les "Magnifiques" - racontant pudiquement leur mise au pilori économique. Ou celle de ce fameux coq que personne n’a pris le temps d’écouter alors qu’il a le don de prédire les malheurs. "En ces temps de crise", comme on dit, faire preuve d’une telle liberté narrative où poésie, absurde, tragédie et autodérision se télescopent répond avant tout à une urgence de raconter. Shéhérazade n’inventait-elle pas chaque nuit une histoire pour sauver sa peau ?

"Même dans les moments où les situations sont dramatiques, il faut continuer à dire des histoires, a commenté le cinéaste lors d’une avant-première du film à Paris. On a toujours besoin de baleines qui explosent." Même lorsqu’il ne filme pas, Miguel Gomes produit de belles images.

-"Les Mille et Une Nuits : L'Inquiet" de Miguel Gomez, avec Crista Alfaiate, Adriano Luz, Rogerio Samora... (2h05)