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"Valley of Love" réinvente le duo Depardieu-Huppert

Présenté à Cannes dans l'indifférence quasi générale, "Valley of Love" de Guillaume Nicloux réunit Gérard Depardieu et Isabelle Huppert pour un touchant road-trip dans l'Ouest américain. Rarement on avait vu les deux comédiens aussi émouvants.

Chaque mardi, France 24 se penche sur deux films qui sortent dans les salles françaises. Cette semaine, "Valley of Love", émouvant road-movie caniculaire de deux monstres sacrés du cinéma, Gérard  Depardieu et Isabelle Huppert*, et "Vice-Versa", la dernière perle signée Pixar.

En lice pour la dernière Palme d’or, "Valley of Love" de Guillaume Nicloux est quasiment passé inaperçu lors du Festival de Cannes. La faute, certainement, à sa programmation tardive durant la quinzaine et à la lassitude éprouvée par certains festivaliers à l’égard des films français qu’ils jugeaient trop nombreux en compétition (cinq sur les 19 sélectionnés).

À l’affiche du film aux côtés d’Isabelle Huppert, Gérard Depardieu, lui, se réjouissait de ce que le long-métrage soit présenté en fin de course. "Comme ça, ça nous évite tous les cons !", avait-il lâché au magazine "Gala".

Cela fait longtemps que l’ambassadeur du cinéma hexagonal ne s’embarrasse plus de diplomatie. Ses sorties peu amènes à l’égard de tout ce qui touche à l’intelligentsia, à l’establishment, au pouvoir, ont fait de lui non plus un simple acteur mais une icône rabelaisienne du franc-parler gaulois. Gérard Depardieu mange tout. À l’écran, il n’est plus Monsieur Tout-le-Monde ou le Comte de Monte-Cristo, il est Gérard Depardieu qui interprète Monsieur Tout-Le-Monde ou le Comte de Monte-Cristo.

Gérard est Gérard, Isabelle est Isabelle

C’est ce qu’a compris Guillaume Nicloux qui, avec "Valley of Love", ne cesse de s’amuser avec le personnage public et ce qu’il représente dans l’imaginaire collectif (français en tout cas). Gérard Depardieu y joue un acteur connu prénommé Gérard et qui est né à Châteauroux (comme lui). Sa partenaire dans le film est interprétée par Isabelle Huppert, elle aussi actrice, elle aussi célèbre. Dans ce récit auto-fictionnel, un seul élément biographique a été inventé : Gérard et Isabelle ont, dans une vie passée, formé un couple. Union de laquelle est né un garçon, Michael.

Ce fils, jamais nous ne le verrons : il a mis fin à ses jours six mois plus tôt. Mais son fantôme, lui, hante constamment le film. Avant de mourir, Michael a écrit une lettre à ses parents dans laquelle il leur ordonne de se rendre, à une date précise, dans la Vallée de la mort, aux États-Unis. S’ils respectent le "contrat", ils pourront alors le voir une dernière fois.

Road-movie intimiste à la lisière du fantastique

De cette histoire de deuil à la lisière du fantastique, Guillaume Nicloux tire un pépère mais touchant road-movie en 4X4 climatisé. Sous la chaleur accablante de l’Ouest américain, Gérard Depardieu se balade tout ventre dehors la moitié du temps. La mise à nu y est pourtant totale et trouve son point d’orgue dans la magnifique scène où l’acteur lit la lettre testamentaire du fils disparu.

Rarement (tout du moins dans sa filmographie récente), l’acteur ne s’était montré aussi émouvant que dans ce rôle de vieille célébrité esseulée - à qui il reste "quelques bons copains" - et de père rongé par la culpabilité de n’avoir su se montrer aimant. La résonnance avec les relations que Gérard Depardieu entretenait avec son fils Guillaume (mort en 2008 des suites d’une pneumonie), y est évidente, mais jamais appuyée, toujours pudique. À côté de la bête, la belle Isabelle Huppert livre une prestation tout aussi attachante de mère croyant dur comme fer pouvoir de nouveau entrer en contact avec son défunt fils.

En 1980, Maurice Pialat avait réuni les deux acteurs dans le film "Loulou". Ils n’étaient pas encore tout à fait ces monstres sacrés qu’on connaît. Le duo était à réinventer. "Valley of Love", produit - il n’y a pas de hasard -, par Sylvie Pialat, la veuve du cinéaste, le fait en montrant le faux couple dans son côté le plus intimiste. Avec ce que cela comporte aussi de banalité : Gérard et Isabelle partageant la même chambre, chacun sur son lit, lui lisant une revue people, elle s’endormant ; Gérard et Isabelle à table, dissertant sur les hamburgers végétariens et la radioactivité des champignons.

"Valley of Love" ne vaut, bien entendu, que pour ses deux comédiens. Sans eux, pas d’intérêt, pas de film. On pourra dès lors comprendre qu’à Cannes la presse internationale soit restée de marbre face à cet exercice d’introspection franco-français. On saisit moins pourquoi la critique française a boudé ce qui constitue l'un des plus beaux hommages rendus à ces deux monuments du cinéma hexagonal.

*Cet article reprend partiellement celui publié à l'occasion du dernier Festival de Cannes.

-"Valley of Love" de Guillaume Nicloux, avec Gérard Depardieu et Isabelle Huppert... (durée : 1h32)