Avec "Vice-Versa", le studio d’animation Pixar franchit un cap dans son exploration du monde de l’enfance, en mettant en scène ce qui se passe dans la tête d’une gamine de 11 ans. Un récit d’apprentissage drôle, malin et émouvant.
Chaque mardi, France 24 se penche sur deux films qui sortent dans les salles françaises. Cette semaine, "Vice-Versa", la dernière perle signée Pixar, et "Valley of Love", émouvant road-movie caniculaire de deux monstres sacrés du cinéma, Gérard Depardieu et Isabelle Huppert.
Certaines "standing ovations" ne passent pas inaperçues. Celle qui a suivi la présentation de "Vice-Versa" au dernier Festival de Cannes fut d’autant plus remarquée que les films d’animation ont rarement droit à de tels honneurs sur la Croisette. L’effet produit par le dernier-né du studio Pixar – devenu, rappelons-le, filiale de la Walt Disney Company en 2006 - sur les festivaliers fut tel que ces derniers ont été nombreux à se demander pourquoi le long-métrage de Pete Docter ne fut pas sélectionné en compétition. Un Disney en lice pour la Palme d’or… Un pas que les organisateurs du Festival ne sont pas encore prêts à franchir.
"Vice-Versa" n’a pourtant rien à envier à la plupart des œuvres qui ont la chance de concourir pour la plus haute récompense cannoise. Le Pixar dernier du nom n’est pas seulement un récit d’apprentissage malin, fantasque et émouvant, il est surtout très ambitieux.
Depuis plus de 20 ans, le studio californien d’animation a toujours su faire montre d'une grande justesse lorsqu’il s’agit de décrire les joies et les affres de l’enfance. Mais jusqu’alors, Pixar s’était toujours limité aux univers périphériques de l’âge tendre, se contentant de donner chair aux chimères qui peuplent l’imaginaire des plus jeunes, tels les jouets de "Toy Story" luttant pour leur survie ou les créatures de "Monstres & Cie" s’employant à démontrer leur bienveillance.
Une plongée radicale dans l’inconnu
Avec "Vice-Versa", la société de production franchit un cap supplémentaire en s’installant carrément dans la tête d’une gamine de 11 ans prénommée Riley. On imagine l’incrédulité des patrons du studio lorsque Pete Docter leur exposa ce projet d’aventure intérieure, de plongée radicale dans un inconnu dont les rouages échappent encore à l’expertise des meilleurs neurophysiciens. Jugé irréalisable, bien trop complexe, et pas forcément divertissant (qui a envie de se balader pendant une heure et demie au milieu des synapses, du cortex ou de l’hippocampe ?), le film faillit d’ailleurs ne jamais voir le jour.
L’intelligence de "Vice-Versa" est d’avoir su évacuer toutes représentations anatomiques du cerveau humain pour se centrer uniquement sur le rôle des affects dans la construction d’un individu. Le cerveau de la petite Riley ressemble ainsi au centre de commandement d'un vaisseau amiral dirigé par cinq émotions aux traits humains : Joie, la jeune fille pleine de vie, Tristesse, la boulotte à lunettes, Peur, la grande tige toute tremblante, Dégoût, la petite peste surlookée, et Colère, le petit trapu soupe-au-lait capable de faire jaillir des flammes lorsqu'il se fâche tout rouge.
Tout ce petit monde gouverne en bonne intelligence les décisions de Riley jusqu'à ce que ses parents décident de quitter leur tranquille cocon du Minnesota pour le tumulte urbain de San Francisco. Tempête sous un crâne. Déstabilisée, en manque de repères, Riley cède peu à peu à la mélancolie. La machine jusque-là parfaitement réglée par Joie va se détraquer sous les pulsions dévastatrices de Tristesse.
Alors que toutes les convictions de la fillette (amitiés, passions, amour familial…) menacent littéralement de s’écrouler, les deux émotions antagonistes se retrouvent expulsées du centre de contrôle. Perdues dans les tréfonds de l’esprit, elles vont devoir traverser mille épreuves pour éviter que Riley ne sombre dans un irréversible mal-être pré-adolescent.
Trésor de trouvailles
Les péripéties de Joie et Tristesse sont un trésor de trouvailles allégoriques. La mémoire est un labyrinthe d’étagères où s’activent des bataillons d’archivistes, la pensée un train filant à vive allure, les rêves des petits films tournés selon d’improbables scénarios (délicieuse mise en abyme), le subconscient une grotte où sommeillent d’inquiétantes créatures… Un univers loufoque qui reste néanmoins aux prises avec la mécanique des sentiments qui nous anime tous et renvoie ainsi à notre propre vécu. La prouesse de "Vice-Versa" est d’atteindre le cœur du spectateur sans jamais sortir de la tête de son personnage.
Le film est également une réussite en ce qu’il dose savamment l’émotion, la malice, l’extravagance et la grande bouffonnerie (on conseille de rester jusqu’à la fin du générique). Et sait faire preuve de pudeur au moment opportun. Notamment lorsqu’il s’aventure discrètement sur le terrain du désir naissant, sorte de bouillonnement larvé annonçant l’entrée dans un nouvel âge, celui de la puberté.
On regrettera toutefois que malgré sa prise de risque initiale, "Vice-Versa" s’évertue à désigner la cellule familiale "une-papa-une-maman-un-enfant" comme le socle de l’épanouissement individuel. Pour une maison de production détenue par la familiale Disney, explorer d’autres modèles serait plus qu’un nouveau cap, une révolution.
-"Vice-Versa" de Pete Docter, avec les voix françaises de Charlotte Le Bon, Marilou Berry, Pierre Niney, Mélanie Laurent, Gilles Lelouche... (durée : 1h36)