
Depuis plusieurs mois, plus de 150 migrants d'Afrique subsaharienne sont installés quai d'Austerlitz. Après l'évacuation du camp de La Chapelle, ils redoutent d'être à leur tour délogés. Pour leur venir en aide, des associations se mobilisent.
Sur la terrasse du bar de l'Institut français de la mode, à deux pas de la gare d’Austerlitz, la soirée commence tout juste. Ici la jeunesse branchée de Paris vient boire des cocktails à 12 euros en profitant de la vue sur la Seine.
La musique couvre l'effervescence du campement de fortune installé au niveau inférieur, où plus de 150 migrants d'Afrique subsaharienne ont trouvé refuge. Sur le quai d'Austerlitz, juste en bas des escaliers menant à l'esplanade huppée, les migrants se sont regroupés pour une distribution de nourriture organisée par des associations locales.
Quand les fêtards iront se coucher, les policiers viendront toquer aux abris de fortune alignés sur le quai. "Le matin, ils nous réveillent à 6 heures, ils regardent combien nous sommes dans la tente et ils nous demandent d’où nous venons. Ensuite, ils reviennent le soir", raconte Walid. Ce jeune homme de 23 ans est originaire du Darfour, région de l'ouest du Soudan ravagée par la guerre depuis plus de dix ans. Il vit dans le camp du quai d'Austerlitz depuis sept mois.
Ces visites de la police sont devenues d'autant plus menaçantes aux yeux des migrants que le démantèlement du camp de La Chapelle, dans le nord de la capitale le 2 juin dernier, a été émaillé d'actes de violence. Des associations du quartier se sont mobilisées pour venir en aide aux réfugiés d'Austerlitz. Le Collectif de soutien aux migrants du 13e arrondissement, qui regroupe notamment la Ligue des droits de l'Homme, Attac, le Réseau éducation sans frontières (RESF) ainsi que des militants du Parti de gauche et d'Europe Écologie Les Verts, a préparé une lettre qui sera remise à la mairie et au préfet de Paris lundi 15 juin.
Les organisations membres y réclament un "hébergement pérenne" pour chaque migrant et un accompagnement adapté à leur situation, leurs besoins et leurs souhaits.
Plusieurs mois d'attente administrative
Sur un coin de pelouse, un cercle s'est formé autour d'un bénévole du Collectif qui explique aux migrants le contenu de la lettre.
Malgré l'élan de solidarité des associations et des riverains, le démantèlement du camp semble de plus en plus probable. À la peur de ne pas savoir où s'abriter, se mêle pour les migrants la crainte des violences policières. Hassan, 33 ans, a entendu parler de ce qui s’est passé à La Chapelle. Dans la queue de la distribution de nourriture, il confie sa crainte d’être malmené par les policiers en cas d’évacuation.
Pourtant, parmi les migrants qui ont trouvé refuge quai d’Austerlitz, beaucoup sont éligibles au droit d’asile en France. Originaires du Soudan ou d’Érythrée pour la plupart, ceux qui en font la demande "peuvent voir leur dossier examiné". Mais pour Pierre Henry, directeur général de France Terre d’Asile, "si vous êtes un homme, que vous êtes jeune et que vous arrivez à Paris, attendez-vous à patienter quatre à six mois que votre dossier soit traité. Et pendant ce temps, vous êtes à la rue".
"Il n'y a qu'en France que je me sens en sécurité"
La guerre au Soudan, et particulièrement la violence des conflits au Darfour et dans les monts Nouba, réapparaît ainsi sur la scène médiatique. "Le Darfour n'était plus dans l'agenda diplomatique mais il revient par les migrants et l'islamisme dans la région", explique Jacky Mamou, président du Collectif urgence Darfour et ancien président de Médecins du monde.
Pourtant, les violences ne se sont jamais arrêtées et la population civile est harcelée. "Il y avait des bombardements tous les jours", raconte Henry, Soudanais originaire de Kauda, dans les monts Nouba, en montrant son avant-bras droit qui porte encore les stigmates d'une grave brûlure provoquée par une explosion. "Il n'y a qu'en France que je pourrais me sentir en sécurité", ajoute-t-il.
Autre victime de la dictature islamiste d'Omar el-Béchir, Mohammed Abu el-Nabi est venu rendre visite à ses anciens camarades du camp. Ce jeune avocat de 27 ans a dû fuir le Soudan en urgence pour avoir défendu Meriam Yahia Ibrahim Ishag, une jeune femme condamné à mort en mai 2014 pour apostasie. Il raconte qu'après cette affaire, il a reçu des menaces aussi bien de groupes islamistes que du gouvernement. Après plusieurs mois passés dans le camp d'Austerlitz, il a obtenu l’asile et vit aujourd’hui dans un appartement qui lui est prêté par une connaissance mais il rêve de retourner au Soudan. Quand Béchir sera parti ? "Oui, peut-être même ce soir alors !", lance-t-il amusé, alors que le dirigeant soudanais s'est vu dimanche interdire de quitter le territoire sud-africain, en lien avec les poursuites lancées contre lui par la Cour pénale internationale.