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L'ex-président géorgien Saakachvili est le nouveau gouverneur d'Odessa

Désormais ukrainien, Mikheïl Saakachvili a été nommé gouverneur de la région d'Odessa. Moscou considère cette nomination comme une provocation. L'ancien président géorgien a notamment pour mission de préserver la "souveraineté" de cette région.

L'ancien homme fort de Tbilissi est de retour aux responsabilités… en Ukraine. Mikheïl Saakachvili, 47 ans, a été nommé samedi 29 mai gouverneur de l'oblast d'Odessa, dans le sud ukrainien. La veille, le président ukrainien Petro Porochenko lui accordait la nationalité ukrainienne, le présentant comme "un grand ami de l'Ukraine".

Dès le début des manifestations sur la place Maïdan à Kiev, l'ancien président géorgien (2004-2013), figure de la "révolution des roses", avait soutenu le mouvement, demandant le départ du président ukrainien Viktor Ianoukovitch. Il était ensuite apparu dans des meetings en plein cœur de la capitale ukrainienne où il avait été largement applaudi, auréolé de son opposition viscérale à toute domination russe sur ses anciens satellites. Les révolutionnaires ukrainiens n'avaient pas oublié qu'en 2008, alors qu'il lançait ses chars vers Tbilissi, Vladimir Poutine promettait de "pendre [Saakachvili] par les couilles".

"Rendre l'impossible possible"

Le président ukrainien Porochenko, qui connaît Mikheïl Saakachvili de longue date, l'avait nommé en février 2015 conseiller et chef du nouveau Conseil consultatif international pour les réformes. "Mikheïl est connu pour rendre l'impossible possible", a-t-il déclaré avant de détailler la mission qu'il lui a confiée : "Préserver la souveraineté, l'intégrité territoriale, l'indépendance et le calme". Vaste programme dans une région située entre la Crimée "indépendante" et la Transnistrie, région de Moldavie occupée par des rebelles pro-russes. Le président russe Vladimir Poutine a d'ailleurs inclus Odessa – dont le port jouit d'une situation stratégique – dans son projet de Novorussia ("Nouvelle Russie") invoqué depuis avril 2014 pour mieux asseoir l'influence russe.

Certes, la ville cosmopolite d'Odessa, qui compte un million d'habitants dont de nombreux russophones, a pour l'instant résisté à l’explosion des tensions séparatistes. Mais la capacité de nuisance des pro-russes n'y est pas négligeable. Ces derniers mois, plusieurs explosions mystérieuses ont visé des organisations pro-ukrainiennes.

"Dépasser les conflits"

"Micha", lui-même russophone, ne se montre pas impressionné par les obstacles et voit en tout cela un défi à sa mesure. Samedi, le nouveau gouverneur d'Odessa a déclaré que son objectif était de "dépasser les conflits imposés artificiellement", allusion au soutien supposé de Moscou aux séparatistes ukrainiens, et de développer des programmes d'investissement. Son bilan politique et économique à la tête de la Géorgie joue en sa faveur, notamment la lutte contre la corruption et la réforme de la police, domaines dans lesquels il a obtenu des résultats salués par la Banque mondiale, Washington et Bruxelles.

Le Kremlin n'a pas manqué de réagir à cette nomination au gouvernorat régional. Le Premier ministre russe Dmitri Medvedev a ainsi tweeté : "Saakachvili à la tête de la région d'Odessa. Le cirque continue. Pauvre Ukraine".

Ce que Moscou veut à tout prix empêcher, c'est que l'Ukraine ne s'arrime pleinement au camp occidental, intègre l'Otan voire l'Union européenne. Le pouvoir russe a aussi dénoncé le choix "d'un homme accusé de crimes contre le peuple géorgien", évoquant les poursuites – notamment pour abus de pouvoir et recours à une force excessive contre des manifestants – dont l'ex-président fait l’objet en Géorgie. Tbilissi demande en effet l'extradition de l'ancien chef de l'État, ce que certains diplomates n'hésitent pas à qualifier de vendetta.

Le risque d'un échec

Saakachvili s'est fixé un objectif de taille : "Faire d'Odessa la capitale de la mer Noire". Certains commentateurs font ainsi le parallèle avec ce qu'il a accompli à Batoumi, ville pro-russe devenue vitrine de la Géorgie, sur les bords de la même mer Noire.

Plus qu'un objectif, c'est un défi. Comme l'a confié à Mediapart un ancien ministre en poste à Tbilissi sous la présidence Saakachvili : l'ancien chef d'État a besoin d'être "dans le feu de l'action", de "se confronter à la difficulté", de "se sentir nécessaire".

C'est donc en Ukraine que Saakachvili espère sans doute entamer une nouvelle carrière politique. Mais un de ses anciens collaborateurs à Tbilissi avertit : "S'il se plante sur les réformes à Odessa, il sera fini politiquement". D'autant que le pouvoir géorgien a réagi durement à sa nomination. Le président Guiorgui Margvelachvili ainsi a qualifié d'"insulte" à la Géorgie la décision Mikheïl Saakachvili d'accepter d'être nommé à la tête de la région ukrainienne d'Odessa, après avoir pris la citoyenneté ukrainienne.

Selon la loi géorgienne, un citoyen qui accepte la nationalité d'un autre pays perd automatiquement celle de la Géorgie. Cette perte doit toutefois être confirmée par décret, ce qui dans le cas de l'ex président n'a pas été fait pour l'instant. "Micha" reste donc, pour l'instant, citoyen géorgien. Mais si jamais il en était privé et devait également quitter Odessa, il pourrait toujours retourner auprès des hipsters new-yorkais. En septembre 2014, l'ancien président racontait en effet au "New York Times" sa vie à Brooklyn, où il se plaît à faire le marché et à se promener à vélo.