À l'abri des regards, des moines dominicains ont numérisé des manuscrits irakiens. Quelques pièces rares, qui ont pu échapper aux mains destructrices de l’EI, sont actuellement exposées à Paris. France 24 a rencontré un frère de Mossoul qui, au péril de sa vie, a contribué à sauvegarder la mémoire de l'humanité. Témoignage.
Le 26 février 2015, le monde apprenait avec effroi l’anéantissement d’antiquités millénaires du musée de Mossoul, en Irak, par les jihadistes de l’organisation de l'État islamique (EI). Si la plupart de ces œuvres réduites en poussière était des répliques en plâtre, certaines d’entre elles étaient bien réelles, comme la sculpture du célèbre taureau ailé datant du VIIe siècle avant JC.
Un crève-cœur pour le père Najeeb Michaeel, moine dominicain du couvent de Mossoul, sa ville natale désormais contrôlée par l’EI. “Quand je l'ai vu en train d'être détruit, complètement démoli, j'ai senti que du sang sortait de ses veines”, confie-t-il à France 24, lui qui a consacré sa vie à la sauvegarde de la mémoire de sa région.
À l’abri des regards, il a numérisé depuis 1990 ce que l’humanité a de plus cher : son histoire. À savoir, des objets antiques, manuscrits du XIIe au XIXe, imprimés rares, et plus de 10 000 photos ethnographiques dont la première date de 1856.
“Moi je l'appelle l'opération anti-daech (acronyme arabe du groupe État islamique). C'est-à-dire que ce que daech veut détruire, nous, nous allons le protéger.”
L’été dernier, l’EI s’empare de la ville de Mossoul provoquant un exode massif de la communauté chrétienne vers les villes environnantes. Pris dans cette progression de l’organisation terroriste vers le Kurdistan irakien, le père Najeeb, retranché à quelques kilomètres, exfiltre en catastrophe, le 5 août, 809 manuscrits sous les tirs des jihadistes.
Dans un lieu tenu secret au Kurdistan irakien, se côtoient désormais, grâce à son action, pas moins de huit siècles de témoignages rares de l’histoire et de la culture de la région. Près de 3500 ouvrages exceptionnels transférés au fil du temps, à chaque grande menace, par des générations de dominicains.
“Nos manuscrits et nos archives sont des vrais nomades, on les a apportés sur le dos des chameaux, ou quelque fois sur le dos des ânes, avec les caravanes, donc ils ont une histoire qui est imprégnée dans ces pages, c’est un trésor”, explique le dominicain.
Numériser pour sauvegarder la mémoire
“Contempler et transmettre ce qu’on a contemplé”, c’est la devise des dominicains. Si leurs prédécesseurs copiaient les textes à la main, les moines d’aujourd’hui le font sur des disques durs.
“Tout ce qui est écrit, que le texte soit chrétien ou pas, que les livres traitent des sciences, d’astrologie, ou de médecine, on numérise tout. Le moindre petit bout de papier est numéroté et numérisé afin qu’il devienne immortel”, ajoute le père Najeeb.
Sur les 8 000 manuscrits qu’il a pu numériser en un 1/4 de siècle, la moitié des originaux a été détruite par l’EI. Mais dans le même temps, aux Archives nationales de Paris, sept d’entre eux reprenaient déjà vie sous la forme de facsimilé.
"Cela fait 25 ans que je travaille dans la numérisation, dans l’ombre. Et voilà, aujourd'hui ils sont exposés aux Archives nationales devant la lumière pour qu’ils soient connus de tous. Aujourd’hui, il faut parler de l’humain avant de parler des religions et très souvent c’est la culture qui devient le carrefour des êtres humains pour partager et vivre ensemble la différence".
L'exposition "Mésopotamie, carrefour des cultures : Grandes Heures des manuscrits irakiens", organisée dans le cadre de l’octuple centenaire de l'ordre dominicain, se tient aux Archives nationales de Paris jusqu'au 24 août. Elle regroupe des pièces très rares, en syriaque, en araméen, et en arabe, collectées par les dominicains. Une autre exposition de photos consacrée à Mossoul se tient à la mairie du Ve arrondissement, à Paris, jusqu'au 21 juin.