logo

Conférence anti-EI à Paris : une coalition internationale dépassée ?

Les membres de la coalition internationale contre l’EI en Irak et en Syrie se retrouvent mardi à Paris pour faire le point sur la lutte contre les jihadistes. Un sommet qui devra repenser totalement la stratégie de cette force, selon les experts.

Dix mois après le lancement de la coalition internationale dirigée par les États-Unis contre l’organisation de l’État islamique (EI), le bilan est maussade : les jihadistes ont poursuivi leur avancée. Récemment, les pertes des villes de Palmyre, en Syrie, et de Ramadi, en Irak, ont achevé de mettre en doute l'efficacité des bombardements arabo-occidentaux. Confrontés à ce constat, 24 ministres et institutions internationales faisant partie de la coalition anti-EI se réunissent, mardi 2 juin à Paris, à l’initiative du ministre des Affaires étrangères français Laurent Fabius.

Le secrétaire d'État américain, John Kerry, qui s'est fracturé le fémur lors d'un accident de vélo dimanche en France, n'assistera pas à ce sommet co-présidé par le Premier ministre irakien, Haïdar al-Abadi.

La réunion doit permettre à "chacun de prendre ses responsabilités", a prévenu le chef de la diplomatie française cette semaine, appelant la communauté internationale à renforcer rapidement sa mobilisation pour éviter la partition de l'Irak et de la Syrie et de nouveaux massacres.

it
Conférence anti-EI à Paris : une coalition internationale dépassée ?

"La coalition doit changer de stratégie"

"La coalition doit changer de stratégie faute de quoi la menace que constitue l'EI ne fera que prendre de l'ampleur", a de son côté mis en garde l'analyste australien David Kilcullen, ex-conseiller du général américain David Petraeus dans les années 2007-2008.

Le directeur de la CIA, John Brennan, est lui-même récemment sorti de sa réserve en affirmant que la bataille contre ces forces jihadistes serait longue et demanderait une solution à la fois militaire et politique.

>> À lire sur France 24 : "Tensions entre Washington, Bagdad et Téhéran après la chute de Ramadi"

Toutefois, alors même que le sommet n’a pas encore débuté, certains analystes entrevoient déjà l’inefficacité de cette rencontre.

"Une conférence de fantoches"

"C’est un bis repetita, une conférence de fantoches", lance Myriam Benraad, politologue, spécialiste de l’Irak au Ceri-Sciences Po, interrogée par France 24. "On a affaire à une coalition qui gesticule dans tous les sens", moque-t-elle.

Pour la spécialiste, les dissonances et les agendas différents des acteurs de cette force hétérogène freinent son action : "La lutte pour l’hégémonie régionale [à laquelle se livrent notamment l’Arabie saoudite, le Qatar ou la Turquie, NDLR] dépasse le combat contre l’EI. Et les Occidentaux ont une marge de manœuvre très faible." En ce qui concerne l’Irak, ces derniers héritent en effet, selon elle, des conséquences de la "désastreuse" intervention américaine dans le pays dès 2003.

En outre, les Occidentaux dialoguent avec les mauvais interlocuteurs : "Ils ont face à eux un gouvernement irakien qui ne tient plus son territoire, et dont les figures sunnites n’ont aucune représentativité, regrette-t-elle. Les solutions se situent plutôt au niveau régional, auprès de la société civile, en Irak et en Syrie."

"Où en est la coalition ?"

De son côté, Yves Boyer, expert en stratégie militaire, s’étonne du silence des diplomates sur la nature même de leur ennemi : "Beaucoup de questions restent en suspens : quel est l’objectif politique de la coalition face à Daech ? Quelle est la vraie emprise de Daech dans la région ? Y a-t-il des factions différentes au sein du groupe ? Des rivalités entre les chefs ? Il y a un vrai tâtonnement, on ne sait pas où en est la coalition."

Encore plus négatif, Hasni Abidi, directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam) à Genève, fustige lui un statu quo. "Les États-Unis ont échoué à trouver une stratégie capable d'aider les Irakiens à reconquérir les territoires aux mains de l’EI", estime le spécialiste, cité par l’agence Reuters. Depuis septembre, "rien n'a été fait", juge-t-il. Et d’ajouter : "Les conditions qui font prospérer l'EI sont toujours là : l'exclusion, l'absence de projet politique, la marginalisation des pans entiers de la société irakienne, la corruption qui gangrène."

Parmi les options qui devraient être abordées mardi figurent les actions ciblées des forces spéciales américaines et le sujet sensible de l'aide de l'Iran chiite. Quant à la possibilité d’une action au sol, la coalition reste toujours très réticente.