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Cannes 2015 : amour lesbien, pervers narcissique et ministres de passage

Festival de Cannes, cinquième jour. Où l'on voit débarquer la moitié du gouvernement français sur la Croisette. Et l'on s'entiche de la romance lesbienne de Todd Haynes mais s'agace des amours toxiques à la sauce Maïwenn.

Nous qui pensions croiser pléthore de stars, voilà qu’on se retrouve à passer nos soirées avec des ministres. Samedi 16 mai, quatrième jour du Festival de Cannes, c’est en présence du premier d’entre eux, Manuel Valls, que nous avons assisté à notre première surprise-partie cannoise. Costume-nœud-pap, le chef du gouvernement ne s’est certes pas éternisé mais il est resté suffisamment longtemps pour susciter une certaine agitation. Un dirigeant politique, finalement, c’est plus chic qu’une étoile hollywoodienne.

Trois jours avant l’homme de Matignon, Christiane Taubira, ministre de la Justice, elle, se livrait à l’exercice de la montée des marches à l’occasion de la présentation, en ouverture, de "La Tête haute", le drame social très "gouvernement friendly" d’Emmanuelle Bercot. Tous les autres jours, impossible d’échapper à Fleur Pellerin, que la fonction de ministre de la Culture oblige à multiplier les apparitions sur la Croisette. A posteriori, on s’étonne de ce que le ministre des Transports ne fût pas invité à la projection de "Mad Max : Fury Road". Un oubli, probablement. Que les organisateurs sauront corriger en conviant le grand argentier Emmanuel Macron à l’avant-première de "La Loi du marché", prévue lundi.

On aurait tort de s’offusquer d’une telle présence gouvernementale. Après tout, des ministres, c’est un peu comme des réalisateurs en lice pour la Palme : ils suscitent des attentes, parfois des espoirs, et se font houspiller au moindre faux pas (coucou, Gus Van Sant). La seule différence est que, parfois, les cinéastes se font copieusement applaudir pour leur travail. Todd Haynes est de ceux-là.

Un summum d'élégance

De courte mémoire de festivalier, jamais film en compétition n’avait attiré autant de journalistes en projection de presse que celui du cinéaste californien (au grand dam des critiques "mal-accrédités", restés par deux fois aux portes de la salle). Si son mélo "Carol", deuxième film américain soumis au jugement du jury, était tant attendu, c’est en partie parce que son auteur est un artiste rare. En près de 30 ans de carrière, Todd Haynes affiche en effet seulement sept films au compteur. De quoi laisser perplexe le membre du jury Xavier Dolan qui en 30 ans, non pas de carrière mais d’existence, devrait en compter tout autant.

Prendre son temps, telle est donc la marque de fabrique du réalisateur passé maître dans l’art du mélodrame. Grâce de la mise en scène, raffinement des dialogues, précision de sa direction d’acteurs, ou plutôt d’actrices, "Carol" est un summum d’élégance feutrée. Une romance aussi soignée que la toilette de son personnage éponyme.

Grande blonde au teint de porcelaine, Carol Aird (Cate Blanchett, toujours sublime) est, en apparence, une mondaine typique de la haute société new-yorkaise des années 1950 : bien née, bien coiffée, bien apprêtée... Mais mal mariée. De fait, la belle et froide bourgeoise, mère d’une fille unique chérie, aime les femmes et se verrait bien vivre une idylle avec Therese Belivet (Rooney Mara, qu'on aime de plus en plus), jeune vendeuse rencontrée au hasard d’une boutique de jouets. Récit d’un amour lesbien, que la différence d’âge rend, en ces prudes années 1950, encore plus sulfureux, "Carol" mêle savamment études de mœurs et mélo sentimental avec la pudeur qui sied à l’époque. La délicatesse de Todd Haynes consistant à différer le "passage à l’acte" que les deux amantes, comme les spectateurs, savent pourtant inéluctable. Quitte à mettre le charnel sous cape.

Les déçus de "Carol", car il y en a, pointent le manque de passion, l’exaltation naïve d’un amour désincarné, courtois, absolu. Mais c’est oublier que le film vaut surtout pour sa manière. "Il n'y a pas en littérature de bonnes intentions : le style est tout", écrivait Gustave Flaubert. Todd Haynes nous montre que la leçon peut aussi s’appliquer au cinéma

"Psychologie Magazine", Xanax et assiettes qui volent

D’une histoire d’amour à l’autre, il n’y a qu’un pas qu’on ne pourrait franchir sans bottes de sept lieues. Loin de la grâce fragile des fifties, "Mon Roi", le premier long-métrage français à entrer sur le ring, a tous les habits du drame psychologique qui se rêve "film coup de poing". Après avoir fait sensation en 2011 avec "Polisse", chronique vue de l'intérieur de la brigade de protection des mineurs, Maïwenn revient en compétition avec un sujet qu’elle semble avoir exhumé d’un vieux dossier spécial de "Psychologie Magazine" : le pervers narcissique, également désigné sous son acronyme de PN.

La bande annonce du jour

Le PN de "Mon Roi", c’est Vincent Cassel, qui a certes la gueule de l’emploi mais déploie des trésors de cabotinage (entre le Jean-Paul Belmondo "tac-tac-badaboum" et la kaïra "vas-y-que-je-t’embrouille" de "La Haine") pour paraître le plus malsain possible. Dès les premières minutes, on sent le coup fourré, que derrière le type affable plein de morgue et de pognon se cache en fait un champion de la manipulation crasse. Si sa future épouse et victime (Emmanuelle Bercot) avait eu un quelconque élan de lucidité lors de leur rencontre, on se serait épargné ses deux heures de relation toxique, de chantages affectifs, de Xanax avalés par poignées et d’assiettes qui volent… Seulement voilà, que voulez-vous, l’amour est aveugle.

Las, les quelques moments de pause émotionnelle durant lesquels on suit la femme meurtrie en programme de rééducation d’un genou accidenté (mais aussi, c’est une métaphore, d’un amour-propre malmené par 10 ans d’amour-passion tumultueuse) sont eux aussi trop forcés pour faire passer la pilule. Un lot de consolation toutefois : les instants de comédie distillés ici ou là par un Louis Garrel étonnant de décontraction et de sensible attention. Espérons que les quatre autres films français attendus en compétition offrent davantage de satisfaction qu’un simple rôle secondaire.