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Les familles de deux journalistes tunisiens tués en Libye réclament la vérité

Après l’annonce, par le gouvernement libyen, de la mort des deux journalistes tunisiens disparus en Libye, leurs proches réclament la vérité sur cette affaire qui compte de nombreuses zones d’ombres.

Ils s'appelaient Sofiène Chorabi et Nadhir Ktari. Ils étaient tunisiens et journalistes. Portés disparus depuis qu’ils avaient été enlevés en Libye, le 8 septembre 2014, par un groupe non identifié, leur assassinat a été confirmé le 29 avril par le gouvernement libyen reconnu par la communauté internationale.

Colère en Tunisie

L’annonce de leur mort a provoqué la colère en Tunisie où un maigre espoir de les revoir en vie subsistait encore. Près de 200 personnes ont ainsi manifesté le 1er mai à Tunis pour "réclamer la vérité" sur le sort de leurs deux compatriotes. "Rendez nous Sofiène ! Rendez nous Nadhir !", a scandé la foule en brandissant des portraits des deux jeunes hommes.

"Je vis un cauchemar, les assassins nous font vivre dans un climat de terreur, si je n’étais pas croyant je ne pourrai plus continuer à vivre", a confié à France 24 Maaouia Chourabi, le père de Sofiène. Même détresse du côté de Sami Ktari, le père de Nadhir. "Nous ne sommes pas seulement fatigués, nous sommes désespérés et écœurés, confesse-t-il. Je n’ai même plus de mot pour dire ce que je ressens, mon épouse en est malade".

Mais les proches des deux journalistes ne ressentent pas seulement de la peine. Ils sont aussi en colère contre les autorités tunisiennes, qu'ils accusent de "ne pas en avoir fait assez" et d'avoir tenu des propos rassurants sur leur sort sans la moindre preuve.

Le journaliste et blogueur politique Sofiène Chourabi était une figure influente du monde des médias de son pays et de la révolution tunisienne. Il était l’un de ces "blogueurs de la révolution" qui ont activement participé à la mobilisation contre l’ancien régime de Ben Ali en 2011, puis à sa chute. Armé de sa plume et de son courage, il attaquait frontalement le pouvoir malgré la répression alors en cours dans le pays.

Il avait, en 2012, payé sa liberté de ton en effectuant un bref séjour en prison, après avoir été accusé par le gouvernement dominé par les islamistes du parti Ennahdha "d’atteinte aux bonne mœurs". Une arrestation qualifiée de politique par ses défenseurs et qui avait donné lieu à des manifestations en sa faveur qui dénonçaient les atteintes aux libertés en Tunisie.

À la fin de l’été dernier, c’est en compagnie de son caméraman Nadhir Ktari, qu’il décide de se pencher sur le chaos qui sévit chez le voisin libyen. Précisément, dans la région d’Ajdabiya, dans l’est de la Libye. Arrêtés une première fois parce qu’ils n’avaient pas d’autorisation de tournage, puis relâchés, ils sont kidnappés par des inconnus quelques jours plus tard dans une zone que se dispute alors plusieurs milices rivales.

Zones d’ombre

Mobilisé depuis la disparition des deux hommes, le syndicat des journalistes tunisiens est lui aussi monté au créneau, vendredi, pour dénoncer l’inertie des autorités tunisiennes pour obtenir leur libération. "Nous demandons l'ouverture d'une enquête judiciaire pour négligence des autorités concernant la détention de nos collègues, c'est ce qui a mené à leur assassinat", explique à France 24, Youssef el-Weslati, membre du bureau du syndicat.

C’est aussi la grande confusion qui continue de régner sur cette affaire qui irrite les familles et les proches de Sofiène et de Nadhir.

Le chef du gouvernement tunisien Habib Essid a d’ailleurs indiqué lors d'une conférence de presse à l'occasion du 1er mai qu'un juge d'instruction tunisien se rendrait samedi en Libye, tout en affirmant que "les informations [sur le sort des deux journalistes] ne sont pas claires". Et c’est peu dire que rien n’est vraiment clair : de l’identité de leurs ravisseurs à la revendication du crime, jusqu’à la thèse présentée par les autorités libyennes.

Ces dernières ont précisément indiqué dans un communiqué publié sur leur page Facebook que ce sont les aveux de plusieurs "détenus" qui ont permis de conclure à la mort des deux Tunisiens, sans donner plus de détails. Il est seulement précisé que les prisonniers, des islamistes originaires de Libye et d’Égypte, affiliés à l’organisation de l’État islamique (EI) ont admis leur responsabilité dans le meurtre des deux journalistes, ainsi que dans l’assassinat de cinq journalistes libyens d'une équipe de la télévision locale Barqa.

Pour ajouter à la confusion, le rapt de Sofiène Chorabi et Nadhir Ktari, ainsi que leur meurtre a plusieurs fois été attribué à l’EI, notamment au mois de janvier 2015, lorsqu’un communiqué comportant des images des deux hommes, a été publié sur des forums jihadistes. Un groupe armé affirmait dans le texte avoir "appliqué la loi d'Allah" à leur encontre. Mais un mois plus tard un officiel libyen assurait que les deux hommes sont toujours vivants et se portaient bien. L’authenticité des différentes revendications publiées au nom de l’organisation terroriste n’a pas été formellement reconnue par les experts. De fait, l’EI n’a pas pour habitude de cacher ses crimes, optant plutôt pour une communication macabre qui met en scène la moindre de ses exactions.

Toujours est-il que, selon le communiqué des autorités libyennes, les services de sécurité n'ont jusque-là pas réussi à parvenir à récupérer les corps des victimes qui ont été enterrées en banlieue de la ville de Derna (est de la Libye), un fief islamiste contrôlé par des groupes extrémistes, dont l'EI.

Autant dire que le travail de deuil des familles de Sofiène et de Nadhir n’est pas prêt de commencer, en l’absence des dépouilles et tant que toutes les incertitudes n’auront pas été levées.

Tags: Tunisie, Médias, Jihad,