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Liban : la prison de Roumieh, un fief pour les jihadistes de l'EI

Le nombre de jihadistes emprisonnés au Liban ne cesse d'augmenter. Dans la célèbre prison de Roumieh, au nord de Beyrouth, des détenus considérés comme étant très dangereux jouissent d'une étonnante autonomie . Reportage de Marine Pradel.

Roumieh, la prison la plus célèbre du Liban, est bien connue des jihadistes. Et pour cause : plus de 500 d'entre eux, accusés de terrorisme, sont détenus dans cet établissement du nord de Beyrouth. Partisans de l’organisation de l’État islamique (EI), du Front al-Nosra, ou de groupuscules jihadistes, ils étaient tous, jusqu’au début de l’année, enfermés ensemble dans l'une des ailes de la prison.

Ainsi, la "libération de Roumieh" est devenue un thème récurrent dans les vidéos de propagande de l'EI. En janvier, deux attentats à la bombe ont visé le quartier alaouite de Jabal Mohsen à Tripoli, dans le nord du pays. Sur les portables des kamikazes, des appels ont été passés vers la prison. L'attentat aurait été commandité depuis le bloc B, l'aile où les détenus islamistes et ceux accusés de terrorisme évoluent en quasi autonomie.

En réaction, les forces de sécurité libanaises investissent le bâtiment et en prennent le contrôle au bout de plusieurs heures de raid. Et ce qu'ils y découvrent dépasse leur imagination : un "centre d'opérations", avec ordinateurs, téléphones 4G et satellites, mais aussi une cafétéria autogérée et même un barbier.

Devant le bloc B, désormais en rénovation, le directeur de la prison ne cherche pas à minimiser les faits. "À l'intérieur du bâtiment, l'autorité des forces de sécurité était à son niveau le plus bas, concède le Général Antoine Zikra. Quand on est entré, on s'est rendu compte qu'ils avaient aussi des armes comme des couteaux, des sabres, des armes artisanales aussi."

Après cette opération, les détenus sont transférés vers une autre aile de la prison, le bloc D, où ils sont enfermés dans des cellules individuelles, sans contact avec l'extérieur. Plusieurs détenus commencent alors une grève de la faim pour protester contre leurs conditions de détention. "Maintenant ils sont chacun dans leur cellule, comme la loi l'impose, tout est organisé selon la loi, ajoute le général libanais. Bien sûr ça ne leur plaît pas, surtout s'ils comparent avec leur situation d'avant !". L'objectif des autorités libanaises est de rompre avec le laxisme teinté de corruption qui offrait aux détenus jihadistes des conditions de détention étonnantes. Beyrouth espère contrer l'EI, qui a placé la prison au centre de sa stratégie d'implantation au pays du cèdre.

"L’EI avait besoin de représentants au Liban. Ils ont vite compris que les détenus islamistes de Roumieh étaient des recrues potentielles, et pouvaient contribuer à leur expansion dans le pays, analyse Mario Abou Zeid, chercheur au Centre Carnegie pour le Moyen-Orient. C'est pour ça qu'au cours des négociations pour la libération des soldats libanais - retenus en otage depuis la bataille d'Arsal – l’EI a toujours tenté de négocier la libération de certaines de ces figures clés du djihad. Ces détenus ont un intérêt immense pour l'organisation, car, dès qu'ils seront libres, ils rejoindront ses rangs et activeront leurs réseaux".

C'est donc la manière forte qui est désormais privilégiée par les autorités libanaises.Selon plusieurs sources sécuritaires, la libération de prisonniers de Roumieh n'est plus négociable, et ce, malgré le risque que cette politique fait peser sur la vie des 25 soldats et policiers, toujours otages des jihadistes.