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Corruption en Ukraine : Volodymyr Zelensky sème le trouble
L'adoption et la promulgation mardi d’une loi qui fragilise deux organes de lutte contre la corruption en Ukraine ont entraîné des manifestations à Kiev pour la première fois depuis le début de la guerre. Pour les experts interrogés par France 24, ce texte est un dangereux signe de concentration des pouvoirs entre les mains d’un petit cercle de proches du président Volodymyr Zelensky.

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Une manifestante brandit, le 22 juillet à Kiev, le mot "veto" inscrit sur son téléphone lors d'un rassemblement contre une loi qui met sous tutelle deux organismes de lutte contre la corruption. © Alex Babenko, AP
02:18

C’est sans précédent depuis le début de l'invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en 2022. Des milliers d’Ukrainiens sont descendus dans la rue à Kiev, mardi 22 juillet au soir, pour protester non pas contre Moscou mais contre le président ukrainien Volodymyr Zelensky et son gouvernement.

Ce mouvement de colère inédit "est très significatif car jusqu’à présent, la population s’est efforcée de rester unifiée derrière son président. Car il semblait important aux Ukrainiens de ne pas donner l’image d’un pays divisé en temps de guerre", souligne Susan Stewart, spécialiste de l'Ukraine à l'Institut allemand pour les affaires internationales et de sécurité (SWP) basé à Berlin.

Loi 12 414

Qu’est-ce qui a décidé ces milliers d’Ukrainiens à briser cette apparence d'unité ? Le détonateur a été la loi 12 414, adoptée par le parlement lundi puis signée dans la foulée le lendemain par Volodymyr Zelensky. "L'administration présidentielle prend souvent très longtemps pour signer des textes de loi, et il est donc clair que cette législation était perçue comme une priorité par le dirigeant ukrainien", affirme Ryhor Nizhnikau, spécialiste de la politique ukrainienne à l'Institut finlandais des affaires internationales.

Une rare vivacité législative qui inquiète la société civile ukrainienne. En effet, la loi 12 414 vise à réduire considérablement l’efficacité de deux organismes essentiels à la lutte contre la corruption en Ukraine : le Bureau national ukrainien de lutte contre la corruption (NABU) et le Bureau du procureur spécialisé dans la lutte contre la corruption (SAP, ou, parfois, SAPO).

Dorénavant, ces deux entités ne seront plus indépendantes. "Elles seront complètement contrôlées par des individus complètement contrôlés par Volodymyr Zelensky. Ces organismes pourront toujours enquêter sur des affaires de corruption, mais probablement pas contre les hommes au pouvoir, seulement contre leurs opposants", résume Alina Nychyk, spécialiste des relations de l'Ukraine avec l'Union européenne et la Russie à la Haute école zurichoise des sciences appliquées (ZHAW).

Concrètement, le NABU et le SAPO sont désormais soumis directement à l’autorité de Ruslan Kravchenko, le procureur général de l'Ukraine. C'est un jeune politicien de 35 ans qui "a connu une ascension rapide et a été nommé à ce poste par le président ukrainien avec le soutien du Parlement il y a un mois à peine. C'est donc quelqu'un de loyal envers le pouvoir et que l’administration présidentielle pense probablement pouvoir contrôler si nécessaire", précise Susan Stewart.

Les autorités ukrainiennes ont assuré que ces organismes étaient infiltrés par des agents russes. "Ils n’ont pas apporté de preuves convaincantes, mais même si c'était le cas, ce n'est pas une raison pour priver ces deux entités de toute indépendance", estime Ryhor Nizhnikau. "C’est un argument facile en temps de guerre et qui peut être utilisé par le pouvoir contre n'importe qui", ajoute Alina Nychyk

Un geste qui ferme la porte à une éventuelle adhésion à l’Europe ?

Cette mise au pas du NABU et du SAPO représente "une étape importante dans la centralisation du pouvoir entre les mains de Volodymyr Zelensky et de son petit cercle de proches", soutient Ryhor Nizhnikau. Ces entités sont importantes à plus d’un titre. D’abord symboliquement : elles ont été créées peu après la révolution de Maïdan de 2014 en faveur de plus de démocratie en Ukraine. À ce titre, elles représentent des pièces centrales d’une plus grande adhésion du pays aux valeurs de l'État de droit et à la lutte contre la corruption, expliquent les experts interrogés par France 24.

Ensuite, elles "ont relativement bien fonctionné depuis leur création", soutient Susan Stewart. "Jusqu’à présent, le NABU a réussi à avancer prudemment en lançant des enquêtes importantes mais sans s'approcher trop près du premier cercle du pouvoir", ajoute Ryhor Nizhnikau.

Aux yeux de l’Union européenne, l’existence de ces deux gendarmes anti-corruption était un élément majeur pour une candidature de l'Ukraine à l’UE. Cette nouvelle loi a d’ailleurs déjà "suscité des vives réactions à Bruxelles, et Marta Kros - commissaire européenne à l’Élargissement - a affirmé que c’était contraire aux engagements consignés dans la feuille de route acceptée par l’Ukraine et l’UE pour préparer les négociations en vue d’une adhésion [à l’UE]", note Alina Nychyk.

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Corruption en Ukraine : Volodymyr Zelensky sème le trouble
© France 24
02:18

"Cette loi signifie à mes yeux que le pouvoir ukrainien a décidé de son propre chef de fermer la porte à une éventuelle adhésion à l'Union européenne", regrette Ryhor Nizhnikau. Ce serait un sacré virage politique pour le président ukrainien qui, par le passé, a plaidé à plus d'une reprise pour une adhésion de l’Ukraine à l’UE.

Les autres experts interrogés par France 24 se montrent, eux, moins catégoriques sur les implications de cette loi pour les ambitions européennes de l’Ukraine. Mais tous s'accordent à dire que c'est un glissement aussi dangereux que soudain vers un exercice peu démocratique du pouvoir en Ukraine. "Il est peut-être un peu surprenant d'en arriver là, mais il y avait des signes avant-coureurs", estime Susan Stewart. Le pouvoir ukrainien "a mené plusieurs raids contre des activistes anti-corruption ces derniers temps qui ont déjà ébranlé l’opinion publique. Par exemple, les autorités ont récemment fait fouiller la demeure de la mère d’un pilote ukrainien décédé et considéré comme un héros de guerre dans le cadre d'une enquête contre un activiste anti-corruption", souligne Alina Nychyk.

Des enquêtes qui s’approchaient du premier cercle du pouvoir

"C’est la dernière touche de Volodymyr Zelensky pour mettre toutes les institutions au pas. Le Parlement et le pouvoir judiciaire sont déjà aux ordres de l'exécutif", affirme Ryhor Nizhnikau. "Au début de l'invasion russe à grande échelle, cette centralisation du pouvoir était considérée comme acceptable afin de permettre à l’exécutif de prendre des décisions rapidement. Mais après trois ans de conflit, cette tendance a atteint un niveau jugé inquiétant et le nombre de personnes qui exercent ce pouvoir est de plus en plus restreint", résume Susan Stewart.

Le NABU a aussi mis un peu trop les pieds dans le plat présidentiel. L'organisme s’est intéressé à Oleksiy Chernyshov, un temps considéré comme candidat au poste de Premier ministre "et un proche de Volodymyr Zelensky, ce qui signifiait que le NABU commençait à fouiner dans les affaires du premier cercle du pouvoir", résume Ryhor Nizhnikau

La réponse a été la loi 12 414. Pour Ryhor Nizhnikau, le pouvoir ukrainien a osé franchir ce rubicon car d'un côté, Donald Trump n'en a pas grand-chose à faire de savoir si Volodymyr Zelensky lutte contre la corruption ou non et l'Union européenne a décidé de soutenir le président ukrainien coûte que coûte contre la Russie". Le moment semblait donc idéal.

Sauf que, cette loi "a été un catalyseur pour le mécontentement d'une partie de la population. Les rassemblements à Kiev ont démontré qu'il y avait un réel ras-le-bol à l'égard de ce que ces manifestants considèrent comme des manquements de Volodymyr Zelensky. Il est arrivé au pouvoir en 2019 en promettant de mettre un terme à la corruption et à la guerre avec la Russie. Ce n'est pas ce qui s'est passé", explique Alina Nychyk.

Jusqu’à présent, Volodymyr Zelensky bénéficie d’une importante côte de popularité et le président compte là-dessus pour faire passer la pilule de la mise sous tutelle politique du NABU et du SAPO. Mais cette loi "constitue un moment Ianoukovitch pour Volodymyr Zelensky", s’est emporté Daria Kaleniuk, très influente activiste ukrainienne et directrice du Centre d'action anti-corruption de Kiev, interrogée par le site Euromaidanpress. Une référence à Viktor Ianoukovitch, président ukrainien pro-russe qui a été chassé du pouvoir en 2014 après la révolution Maïdan.

Avec cette loi, le président Zelensky risque de perdre du crédit dans son pays et à l'étranger. "Lorsqu'il se déplace à l’étranger, il apparaît comme ce dirigeant capable de transmettre sur la scène internationale les messages du peuple ukrainien. L'un de ces messages est que l’Ukraine est différente de la Russie, qu'elle adhère aux valeurs occidentales et les défend face à Moscou. Et le respect de l’État de droit en fait partie", souligne Susan Stewart. Pour les experts interrogés, cette nouvelle loi représente une sorte de trahison.