logo

Deux soldats israéliens en vacances en Belgique rattrapés par une plainte pour crimes de guerre
Repérés sur les réseaux sociaux par des ONG spécialisées dans les violations des droits humains, deux soldats israéliens venus assister au festival de musique Tomorrowland ont été brièvement arrêtés en Belgique. Ils sont visés par une plainte pour crimes de guerre commis dans la bande de Gaza. Ce n'est pas la première fois que les réseaux sociaux deviennent une arme pour traquer les auteurs présumés de crimes de guerre.
Des soldats israéliens à l'hôpital européen de Khan Younès, à Gaza, où l'armée affirme que des militants du Hamas ont opéré dans un tunnel situé sous l'établissement, le 8 juin 2025. © AP, Ohad Zwigenberg

L'armée israélienne avait mis en garde ses soldats contre toute publication sur les réseaux sociaux relative à leur service militaire ou à leurs projets de voyage. Mais deux jeunes Israéliens, qui étaient ce week-end en Belgique pour assister près d'Anvers au festival de musique électro Tomorrowland, n'ont pas suivi la consigne.

Ils ont été arrêtés et entendus par la police belge dans le cadre d'une plainte déposée par des ONG sur de possibles crimes de guerre commis dans la bande de Gaza, a annoncé, lundi 21 juillet, le parquet fédéral belge. Les deux suspects, dont l'identité n'a pas été précisée, ont été relâchés après audition, selon la même source.

À l'origine de cette plainte pour "violations graves du droit international commises dans la bande de Gaza" se trouvent l'association Global Legal Action Network (GLAN), un réseau international de juristes spécialisés dans les violations des droits humains, et l'organisation Hind Rajab Foundation (HRF), basée à Bruxelles.

Née en 2024, cette fondation a été nommée en hommage à une fillette gazaouie, Hind Rajab, tuée au début de la guerre par des tirs israéliens, alors qu'elle et sa famille fuyaient la ville de Gaza. Coincée dans une voiture criblée de balles et entourée des corps des membres de sa famille, la Palestinienne de six ans, avait téléphoné au Croissant rouge dans un ultime appel au secours. Elle a été retrouvée morte deux semaines plus tard.

Des messages publiés sur les réseaux sociaux ont permis à ces deux ONG d'identifier la présence des deux soldats en Belgique. L'un des deux, membre présumé de la brigade Givati - une unité de l'armée israélienne en première ligne dans la guerre à Gaza -, a partagé sur Instagram, à son arrivée au camping du festival, une photo de tentes, affirmant que cela lui donnait l'impression d'être "à nouveau à l'armée", rapporte la presse allemande citée par Courrier international.

Des soldats repérés sur les réseaux sociaux

Les organisations à l'origine de la plainte affirment également avoir repéré ces deux Israéliens dans un petit groupe d'hommes qui étaient en train de brandir, vendredi devant la scène du festival, un drapeau de la fameuse brigade Givati.

Sont reprochés aux suspects, d'après un premier communiqué publié ce week-end par HRF, des "attaques aveugles contre des zones civiles, des habitations et des hôpitaux ; le recours à la torture et aux boucliers humains ; les détentions arbitraires massives et les déplacements forcés de civils".

Les deux hommes sont ainsi accusés d'être "directement impliqués dans certains des crimes les plus odieux commis pendant la campagne militaire israélienne". Des accusations sur lesquelles le parquet belge a décidé de se pencher.

D'après la presse allemande, l'un des deux hommes, un lieutenant des troupes du génie, est accusé d'avoir activement contribué "à la destruction systématique d’infrastructures vitales à Gaza, qui ont eu pour conséquence d’y rendre la vie impossible", rapporte Courrier international.

La "compétence universelle" invoquée

Même si les suspects ne sont pas belges et que les faits ont été commis à l'étranger, la justice belge pourrait faire valoir, pour les poursuivre, la compétence universelle de ses tribunaux sur ces questions de violations du droit international (crimes contre l'humanité, crimes de guerre, génocide).

La compétence universelle existe depuis longtemps. En vertu des Conventions de Genève de 1949, tous les signataires sont tenus de poursuivre les criminels de guerre ou de les remettre à un pays qui le fera.

Israël a utilisé ce même concept pour poursuivre Adolf Eichmann, l'un des architectes de l'Holocauste. Des agents du Mossad l'ont arrêté en Argentine en 1960 et l'ont emmené en Israël, où il a été condamné à mort par pendaison.

Plus récemment, un ancien officier de la police secrète syrienne a été condamné en 2022 par un tribunal allemand pour crimes contre l'humanité commis dix ans plus tôt, pour avoir supervisé des abus sur des détenus dans une prison.

Après un premier examen de la plainte déposée, le parquet fédéral belge a estimé lundi "qu'il pourrait disposer d'une compétence" sur la base d'une nouvelle disposition du code de procédure pénale en vigueur depuis avril 2024, l'article 14/10.

"Cet article attribue une compétence extraterritoriale aux juridictions belges pour connaître des infractions commises hors de notre territoire et visées notamment par une règle de droit international conventionnelle, en l'espèce les Conventions de Genève du 12 août 1949 relatives aux crimes de guerre et la Convention des Nations unies contre la torture du 10 décembre 1984", détaille le paquet fédéral. 

Yuval Vagdani, contraint de fuir du Brésil

Depuis sa création, la Fondation Hind Rajab a déposé une centaine de plaintes dans plusieurs dizaines de pays afin d'obtenir l'arrestation de soldats israéliens. Jusqu'à présent, elles n'avaient jamais donné lieu à une arrestation.

De nombreuses tentatives de la HRF ont échoué, notamment aux Pays-Bas. D'après la loi néerlandaise, pour que le suspect soit interrogé, il doit se trouver dans le pays pendant toute la durée de l'enquête. Au moins onze plaintes contre 15 soldats israéliens ont donc été classées sans suite, certaines parce que l'accusé n'était présent dans le pays que pour une courte période, selon le parquet néerlandais.

D'autres fois, l'État israélien a pris les devants. En janvier dernier, le soldat israélien Yuval Vagdani, alors réserviste, s'était accordé des vacances au Brésil. Mais il a fui le pays dans l'urgence après avoir été alerté par l'ambassade d'Israël à Brasilia de l'ouverture d'une action judiciaire à son encontre pour crimes de guerre, en raison de sa participation présumée à la démolition de maisons civiles à Gaza, à la suite d'une plainte déposée par HRF.

Yuval Vagdani, survivant des attaques du Hamas du 7-Octobre, a déclaré à une station de radio israélienne que l'accusation lui avait fait l'effet d'"une balle dans le cœur".

Ce sont les réseaux sociaux, encore une fois, qui ont permis à HRF de collecter des preuves à son encontre. En novembre 2024, le militaire de 21 ans avait publié des photos et des vidéos d'immeubles en ruine à Gaza, accompagnées du commentaire suivant : "Que nous puissions continuer à détruire et à écraser cet endroit immonde sans s'arrêter, jusqu'à ses fondations." Partagées sur son compte Instagram, ces images ne devaient rester visibles que 24 heures. Mais elles ont été repérées par la fondation qui s'est également appuyée sur des données de géolocalisation et une vidéo pour construire son argumentaire.

Réagissant à l'affaire Yuval Vagdani, l'armée israélienne avait alors interdit aux soldats d'un grade inférieur à un certain rang d'être nommés dans les articles de presse et exigé que leurs visages soient masqués. Elle avait aussi recommandé aux soldats de ne pas parler de leurs opérations militaires, ni de leurs voyages sur les réseaux sociaux.

La publication sur Instagram ou TikTok par des militaires israéliens de photos et de vidéos de destructions, ainsi que de provocations ou d'humiliations dans l'enclave palestinienne, met le commandement israélien dans l'embarras. Interrogé par France info en juin 2024, l'armée israélienne affirmait agir face à "des incidents exceptionnels" et promettait, dans les cas relevant d'infractions pénales, l'ouverture d'enquêtes par la police militaire.

Avec AFP et AP