
Alors que le divorce entre Jean-Marie Le Pen et la direction du Front national semble acté, une fracture générationnelle divise les militants du parti sur la question de son avenir. Reportage dans les rangs du défilé du 1er-Mai.
Le Front national (FN) doit-il rompre définitivement avec Jean-Marie Le Pen à la suite de ses nouveaux coups d'éclat médiatiques ? Interrogés en marge de leur traditionnel défilé du 1er-Mai, qui s’est tenu vendredi pour la 27e année consécutive, les militants frontistes sont divisés sur la question.
Ces derniers n’ignorent pas que Jean-Marie Le Pen est désormais ouvertement contesté par les caciques du parti, et singulièrement par sa propre fille Marine, ainsi que la garde rapprochée de cette dernière.
Dans les rangs des militants, un fossé générationnel sépare ceux qui souhaitent le départ du président d’honneur du FN, qu’ils accusent de ternir leur image, et ceux qui pensent qu’il reste une figure intouchable du parti d’extrême droite.
Jean-Marie Le Pen "joue contre son camp"
Ainsi pour Ludovic*, un sympathisant âgé de 20 ans et étudiant dans le nord de la France, "Il est temps de tourner la page Jean-Marie Le Pen, tant il est devenu gênant pour le parti à force de mettre des bâtons dans les roues de sa fille qui, elle, incarne la modernité". Selon lui, le fondateur du FN " joue contre son camp" et risque à terme "de ralentir la dynamique victorieuse" du Front. "Il est temps qu’il se retire de la vie politique, de prendre une retraite méritée et de laisser la place aux jeunes", assène-t-il, tout en ajustant son drapeau bleu, blanc, rouge vissé sur la tête.
Un avis que partage Albin, 23 ans, encarté au FN depuis le mois de janvier, et qui vote pour le parti de Marine Le Pen depuis qu’il dispose d’une carte d’électeur. Cet ingénieur de formation, venu depuis le Limousin pour défiler, estime que Jean-Marie Le Pen ne représente plus qu’une partie infime des électeurs du parti frontiste. "Je ne me retrouve pas dans ses déclarations, il faut que ses extravagances cessent, il va trop loin, je ne comprends pas pourquoi il va chercher la petite bête en revenant sans arrêt sur les années 1940", confie-t-il en référence aux propos tenus sur le maréchal Pétain et sur les chambres à gaz, "détail" de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale.
Albin estime que la réunion du bureau exécutif du FN en formation disciplinaire, organisée lundi prochain, qui doit décider d'éventuelles sanctions contre son président d’honneur, est une bonne démarche. "Cela prouve qu’il n’y a pas de passe-droit au sein du parti, même s’il est le père de la présidente, juge-t-il. Toutefois, il ne faut pas être trop injuste avec lui, car le Front national lui doit beaucoup".
De son côté, Hélène, une pâtissière âgée de 34 ans et originaire de la région de Nice, est encore plus sévère avec Jean-Marie Le Pen. "Son attitude est suicidaire pour le parti, ses propos nuisent au travail des militants et ternissent notre image auprès des électeurs qui hésitent encore à nous rejoindre", confie-t-elle tout en tirant sur sa veste bardée de pin’s aux couleurs frontistes. Hélène affirme qu’elle n’aurait jamais voté ni adhéré au FN si le "menhir" en était encore le président. "Nous regardons vers l’avenir, avec Marine nous visons la victoire, elle peut arriver au pouvoir, lui, il incarne le passé, il doit partir et laisser le champ libre".
"Sans Jean-Marie Le Pen le FN n’est plus le FN"
Si les jeunes du FN, qui ont massivement rallié le parti depuis l’arrivée aux affaires de Marine Le Pen, affichent un avis tranché, la vieille génération des militants frontistes reste, elle, très attachée à la figure de Jean-Marie Le Pen. Comme un symbole, ce dernier était relégué loin derrière le premier rang du défilé du FN vendredi.
La rupture politique avec JMLP est désormais totale et définitive. Sous l'impulsion de Marine Le Pen des décisions seront prises rapidement.
— Florian Philippot (@f_philippot) 8 Avril 2015Patrick, 57 ans, au chômage depuis six ans, et qui vote FN depuis 2007, après avoir voté "à gauche et à droite", ne veut pas que le vétéran de l’extrême droite française soit sanctionné par son propre parti. "Je sais bien que Marine cherche à être consensuelle, mais personne n’a le droit de faire taire Jean-Marie Le Pen, il a le droit d’exprimer ses idées", affirme-t-il. Patrick, qui réside à Paris, estime qu’il n’y a rien de "choquant" dans les récentes sorties de son président d’honneur.
Il est persuadé que cette affaire est le fait de certains dirigeants du parti, "qui n’ont encore rien prouvé", dans une allusion à peine voilée à l’influent vice-président Florian Philippot, le dirigeant frontiste le plus critique à l’égard de Jean-Marie Le Pen, qui "veulent le pousser vers la sortie pour plaire au système". Et d’ajouter : "On ne touche pas au fondateur !".
Même son de cloche du côté de Sylvie*, une retraitée âgée de 68 ans, venue de la région parisienne pour défiler avec les "patriotes de toute la France". Cette militante encartée depuis 1988 refuse que "la figure emblématique du parti, sans qui le FN n’est pas le FN, soit humiliée et convoquée comme un vulgaire collégien en conseil de classe".
Elle affirme que les Le Pen auraient dû laver leur linge sale en famille, en privé, loin des caméras, et ne pas agir comme l'UMP ou le PS. "Quelle ingratitude à l’égard de celui, qui, seul contre tous, a façonné pendant des années le FN et sans qui Marine ne serait pas arrivée jusqu’ici, elle ne doit pas oublier ce qu’elle lui doit". Et de conclure : "On lui doit le respect, il incarnera à jamais, même après sa disparition, notre parti et notre patrie".
* Prénoms changés à la demande des intéressés .