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Russie : la BD sur la Shoah "Maus" fait les frais de la loi anti-propagande nazie

À l'approche des célébrations de la fin de la Seconde Guerre mondiale, des libraires russes retirent de la vente la BD sur la Shoah "Maus". Ils ont peur d'avoir des problèmes avec les autorités en raison de la croix gammée figurant sur la couverture.

Une bande dessinée dénonçant l’horreur de la Shoah censurée pour cause de nazisme. C’est l’absurde situation dans laquelle se retrouve aujourd’hui en Russie la célèbre BD "Maus" d’Art Spiegelman. Traduite en 30 langues et encensée par la critique, cette œuvre est désormais reléguée dans l’arrière-boutique des libraires russes.

À quelques jours des commémorations du 70e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, célébrées en grande pompe, le 9 mai prochain à Moscou, plusieurs propriétaires de librairie ont décidé de retirer "Maus" de la vente en raison de sa couverture sur laquelle figure une croix gammée. Ils craignent en effet d’être inquiétés par les autorités russes, qui ont voté en décembre dernier une loi interdisant "la propagande nazie".

"Ils ont eu juste peur que quelqu’un aperçoit la croix gammée", a ainsi expliqué au "New York Times" Varvara Gornostaïeva, directrice de publication à Corpus, l'éditeur de "Maus" en Russie. "Mais celle-ci est juste une caricature. Elle n’entre pas sous le coup de la loi qui interdit les symboles fascistes".

Malgré le caractère irrationnel de cette autocensure, trois des plus grandes librairies de Moscou – Biblio Globus, Moskva et Moskovski Dom Knigui – ont déjà retiré le livre de leurs rayons et de leurs catalogues Internet. Pour la radio indépendante Écho de Moscou, ils se préparent ainsi à d’éventuels inspections avant la date du 9 mai. "Les employés attendent des contrôles des autorités et ont commencé à nettoyer les rayons" a estimé la radio auprès de l’AFP.

Une douloureuse histoire familiale

L’auteur américain Art Spiegelman a réalisé cette bande dessinée dans les années 70 et 80. Fils de juifs polonais rescapés du camp d’Auschwitz-Birkenau, il a voulu raconter l’histoire de sa famille. Dans cette œuvre autobiographique où les juifs sont représentés par des souris et les nazis par des chats, il traite de la difficulté qu’il a eu à communiquer avec son père, Vladek, sur ce terrible passé. Sa mère Anja s’était suicidée quelques années auparavant, en 1968. "Je ne cherchais pas à donner mon point de vue sur la Shoah, dont, d'ailleurs, on parlait encore très peu à l'époque. Je voulais raconter une histoire que le lecteur n'arriverait pas à lâcher", avait-il simplement expliqué à ce sujet en 2008 dans le magazine "Télérama".

Pour beaucoup, "Maus" est une œuvre majeure, l’un des plus bouleversants témoignages sur la barbarie nazie. Pour preuve, il s’agit de la seule bande dessinée à avoir reçu le prix Pulitzer, en 1992. Elle avait aussi fait l'objet d'une exposition au musée d'art moderne de New York un an auparavant. Après avoir appris que certains de ses confrères la retiraient de leurs rayons, le libraire indépendant moscovite Boris Kupriyanov n’a pas caché sa totale incompréhension. "Si quelqu’un prend la décision d’enlever ce livre de la vente ou de demander à des libraires de le faire, alors il est visiblement un idiot ou bien un ennemi du régime, car il les fait passer aussi pour des imbéciles", a-t-il résumé dans le "New York Times".