À peine 20 % des entreprises américaines susceptibles d'utiliser des minerais provenant de zones de conflit ont correctement rempli leurs nouvelles obligations de transparence, dénonce un nouveau rapport de deux ONG.
Les iPhone d’Apple, les Kindle d’Amazon ou encore les ordinateurs portables d’Hewlett-Packard sont-ils toujours construits en nourrissant des conflits meurtriers en RD Congo et dans la région des Grands lacs africains ? La question des minerais venus de zone de conflit dans les produits high-tech revient sans cesse depuis plus de 10 ans et un nouveau rapport conjoint d’Amnesty International et de Global Witness, publié mardi 21 avril, illustre que le doute est toujours permis malgré un renforcement législatif aux États-Unis.
Pour la première fois, en 2014, un millier d’entreprises cotées en Bourse aux États-Unis étaient obligées de remettre un rapport sur l’origine des minerais utilisés pour fabriquer leurs produits. Et 80 % d’entre elles n’ont pas rempli leurs obligations légales, établies par la loi Dodd-Franck de 2010, révèle l’enquête des deux ONG.
Microsoft ou Intel parmi les bons élèves
General Electric, Microsoft, Hewlett-Packard ou Intel font partie des bons élèves qui ont fourni les informations nécessaires pour connaître tous les détails de leur chaîne d’approvisionnement en minerais sensibles (coltan, étain, or et tantale).
Les autres ont bien remis leur rapport au gendarme américain de la Bourse (SEC, Security Exchange Commission), mais il s’est révélé plus ou moins incomplet. "Les pires ont envoyé une seule page sur laquelle les dirigeants déclarent avoir reçu l’assurance de leurs fournisseurs que tout était en ordre sans citer leurs noms ou d’où étaient censés venir les minerais utilisés", raconte Nathaniel Dyer, l’un des responsables de Global Witness qui a participé à l’enquête, à France 24.
Il précise que les deux ONG n’ont pas voulu citer nommément les pires cancres car "c’était la première fois que les entreprises devaient remplir cette obligation" et elles préfèrent attendre de voir si des efforts allaient être faits. Dommage, notamment dans le cas d’Apple. Le roi des smartphones s’était félicité, en février 2015, d’avoir réduit sa dépendance à ces minerais controversés. Pourtant, il n’apparaît pas dans la liste des meilleurs élèves du rapport d’Amnesty International et Global Witness.
Un reglement européen peu satisfaisant
"Notre étude démontre que la plupart des entreprises préfèrent continuer comme si de rien n’était plutôt que de s’attaquer sérieusement au risque que leurs achats de minerais servent à enrichir des groupes armés et mafieux", expliquent les deux ONG dans un communiqué commun. La grande majorité des entreprises peuvent d’autant plus s’en laver les mains que le risque de sanction est mal défini. Les autorités ont le pouvoir d’infliger des amendes ou de saisir les biens des sociétés coupables de soutenir le trafic de ces minerais. "Mais le fait de ne pas fournir toutes les informations sur la chaîne d’approvisionnement n’équivaut pas pour autant à un soutien à ce commerce", souligne Nathaniel Dyer.
Un flou juridique d’autant plus dommageable que l’impact du commerce de minerais en provenance des zones de conflit est documenté depuis longtemps. Dans la province ravagée du Kivu notamment, d’où provient une grande partie du coltan qu’on retrouve dans les smartphones ou tablettes, "seulement 10 % des mines ne sont pas sous la coupe des milices armées", rappelait en 2014 à France 24 Sasha Lezhnev, analyste pour l’ONG américaine Enough Project.
Mais au moins les États-Unis ont-ils fait un effort législatif pour mettre un terme à cette situation. Côté européen, ce n’est pas encore le cas. "Pourtant, l’Europe représente un quart du commerce mondial de ces minerais", souligne auprès de France 24 Sabine Gagnier, responsable du programme de lutte contre la pauvreté chez Amnesty International. Des entreprises telles que Nokia, Airbus ou même des bijoutiers ont besoin des ces matières premières.
Un règlement européen est bien en préparation, mais il est loin de satisfaire les ONG. "Il s’inspire des dispositions de la loi américaine mais au lieu d’être contraignant, ce texte se base sur le principe d’une participation volontaire des entreprises concernées", regrette Sabine Gagnier. En clair, les sociétés susceptibles d’importer des minerais des zones de conflit pourraient s’accorder une "auto-certification, sans qu’on sache très bien qui va ensuite vérifier le bien fondé des affirmations de ces entreprises", déplore la militante d’Amnesty International.