Les notes de Haji Bakr, un des stratèges présumés de l’organisation de l’État islamique (EI), tué en janvier 2014, ont été retrouvées dans le nord de la Syrie. Elles dévoilent un plan d’organisation basé sur un système d'espionnage tentaculaire.
En janvier 2014, lorsque qu’un groupe de rebelles syriens pro-occidentaux tue, dans la ville de Tal Rifaat, l’Irakien Samir Abd Muhannad al-Khlifawi, plus connu sous le nom d’Haji Bakr, l’organisation de l’État islamique (EI) perd l’un de ses meilleurs stratèges. C’est du moins ce qu’affirme l’hebdomadaire allemand "Der Spiegel" après une enquête de plus d'un an.
Colonel d’état-major avant la chute du régime baasiste de Saddam Hussein, Haji Bakr fut emprisonné par les Américains entre 2006 et 2008 dans le camp de Bucca et à la prison d’Abou Ghraib. Il s'agit du même camp où plusieurs dirigeants de l’actuel groupe EI étaient emprisonnés, notamment son leader Abou Bakr al-Baghdadi. Là, membres de groupes jihadistes et anciens officiers de Saddam Hussein ont mis à profit leur détention en établissant un vaste réseau de contacts et s’entendant pour reconquérir l’Irak. Les uns au nom du jihad, les autres pour se venger d’avoir été évincés du pouvoir.
À la suite de sa libération, Haji Bakr participe à la fondation du Front al-Nosra fin 2011 en Syrie. Le groupe n’est alors qu’un bras secret de l’État islamique en Irak. Lorsque la guerre éclate en Syrie en mars 2011, l’État islamique en Irak voit l’opportunité d’y instaurer une base arrière qui permettrait au groupe de reconquérir progressivement l’Irak. L’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) naît en avril 2013 mais al-Nosra, qui conserve son allégeance à Al-Qaïda, s'en sépare.
Infiltrer la Syrie
Retrouvées dans la maison de Tal Rifaat où il a été tué, les notes du stratège de l’EI ont pu être consultées par le "Spiegel" après des mois d’enquête. Y sont décrits la stratégie de conquête de l’EI ainsi que les moyens d’imposer le pouvoir dans les zones conquises grâce à un système complexe d'informateurs.
Pour s’implanter discrètement au sein de la population, le plan de Haji Bakr prévoit d’utiliser des dawas, des missions islamiques de quartiers qui fournissent une aide sociale aux habitants. Les membres de l'EI sont recrutés parmi les habitués, puis une ou deux personnes, souvent jeunes, seront incitées à mener des missions d'espionnage dans leur village.
Une fois l’EI installée dans une ville, l'étape suivante consiste à éliminer ou soumettre "les individus hostiles". Les personnes influentes doivent également être surveillées avec une attention toute particulière. Haji Bakr suggère même que des "frères" épousent les filles de notables afin de pénétrer ces milieux et ainsi mieux les infiltrer.
État policier
Pour garantir à l’EI un pouvoir solide, Haji Bakr avait conçu un système d'espionnage tentaculaire où "chaque personne doit surveiller une autre personne", s'inspirant de l'appareil sécuritaire mis en place par Saddam Hussein. Ce système d'espionnage sur lequel a été fondé l’EI, si l'on en croit les documents, n’a pourtant rien de neuf. "Recruter des indicateurs et connaître les faiblesses de ses ennemis pour leur nuire n’a rien de nouveau, tous les États policiers le font", relativise Romain Caillet, chercheur et consultant sur les questions islamistes.
À la mort de Haji Bakr, la machine EI aurait pu s’effondrer. Il n’en est rien. "Pour la bonne raison, souligne Wassim Nasr, spécialiste des réseaux jihadistes à France 24, que, pour l’EI, les hommes n’ont pas d’importance, c’est l’idéologie et la conviction qui priment." L’ancien colonel de Saddam Hussein disparu, ces idées continuent à être appliquées par d’autres.