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Après l'attaque de Garissa, Nairobi a annoncé son intention de renvoyer plusieurs centaines de milliers de réfugiés somaliens dans leur pays. Une mesure qui provoque l'inquiétude du HCR et des ONG sur place.

L’air se fait lourd à Dadaab, au Kenya. C’est le début de la grande saison des pluies. Ces jours-ci, raconte Carolyne Wainaina, coordinatrice de projet pour l’ONG Fédération luthérienne mondiale (FLM) à France 24, la température dépasse allègrement la trentaine de degrés malgré les gros nuages qui masquent de temps à autre le soleil. Leur ombre s'accorde bien avec le froid qu'a jeté le gouvernement kényan il y a cinq jours, en exigeant que les camps de réfugiés qui entourent Dadaab et accueillent 350 000 personnes soient évacués au cours des trois prochains mois.

Depuis l'attaque de l'université de Garissa, qui a fait 148 morts le 2 avril, le gouvernement est sous pression. Il doit montrer les dents, sous peine de donner raison aux hommes politiques et éditorialistes kényans qui estiment que le bilan de l'attentat aurait pu être moins élevé si les forces spéciales étaient intervenues plus vite. Celles-ci ne sont arrivées sur place que douze heures après le début de la fusillade.

L’ampleur du massacre rappelle l’attaque du centre commercial de Westgate, fin septembre 2013 en plein Nairobi. À l’époque comme aujourd’hui, les islamistes somaliens shebab revendiquent la tuerie. Même problème, même solution : Asman Kamama, président de la commission parlementaire sur la sécurité nationale, accusait alors Dadaab d'être devenu un "incubateur à terroristes" que voulait fermer le ministre de l’Intérieur de l’époque, Joseph Ole Lenku. Aujourd’hui, le vice-président kényan William Ruto réagit de la même façon. Il demande au Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) l’évacuation du complexe humanitaire dans les trois mois.

Des camps ouverts en 1991

Dans les camps, c'est la stupeur, rapporte Carolyne Wainaina. Parmi les 350 000 réfugiés qui subsistent autour du village de Dadaab, "certains sont là depuis 25 ans et l'ouverture du camp en 1993", proteste Karin de Gruijl, chargée de l'Afrique pour le HCR. Là, à une centaine de kilomètre de la frontière avec la Somalie, des milliers d'exilés affluent chaque semaine depuis l’ouverture des camps en 1991, fuyant pour certains la violence endémique de la Corne de l'Afrique, pour d'autres la famine ou la sécheresse.

Dadaab est à mi-chemin entre la frontière et Garissa. Si les assaillants ne venaient pas du camp lui-même, comme l’insinue le gouvernement et le dément énergiquement le HCR, ils sont sans doute passés non loin, en route vers leur macabre dessein. Les camps d'Ifo, de Dagahaley et de Hagadera, les trois plus anciens des cinq camps, sont chacun à une dizaine de kilomètres de Dadaab elle-même, qui compte moins de 10 000 habitants.

Carolyne Wainaina doit réprimer un rire quand on lui demande si après 25 ans, les tentes ont été remplacées par des habitations en dur. "Ils vivent sous des draps de plastique." Quarante à cinquante kilomètres carrés de tentes, en cumulé, où cohabitent Somaliens (à 95 %), Éthiopiens, Ougandais… "L'immense majorité de la nourriture vient de dons. Quelques rares serres que nous avons installées dans le cadre d’un projet sont autogérées." Mais pas suffisantes pour changer grand-chose au désœuvrement généralisé. Ici, on n'évoque même plus le nombre de chômeurs mais celui, "très faible", d'emplois disponibles.

"Cela engendre de la frustration", raconte Carolyne Wainaina. "Peut-être de quoi expliquer la radicalisation de certains réfugiés. Notamment les jeunes, qu’on pourrait garder occupés avec des subventions supplémentaires." Des jeunes, âgés de moins de 18 ans, qui représenteraient 60 % de la population des camps selon Karin de Gruijl, soit 207 000 personnes.

Violation du droit international

Qu'adviendra-t-il de ces enfants, de ces adolescents, qui pour certains sont nés à Dadaab et n'ont connu que sa réalité ? Le HCR a appelé mardi 14 avril le gouvernement kényan à revenir sur sa décision. Pour Karin de Gruijl, fermer ces camps constituerait "une violation des obligations internationales du Kenya". Nairobi est en effet signataire de la Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés et de la Convention de l'Organisation de l’union africaine de 1969 (l’OUA, l’ancêtre de l’Union africaine) régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique.

"Les deux textes, précise Karin de Gruijl, interdisent le retour forcé des réfugiés." Or, à moins que les 350 000 occupants des camps de Dadaab acceptent de quitter les lieux pour retourner principalement en Somalie – "un pays qui ne leur garantit ni sécurité ni accès aux soins", selon Charles Gaudry, chef de mission de Médecins sans frontières (MSF) au Kenya –, il s’agit bien de retour forcé.

"Le problème de la Convention de 1951, c’est qu'elle ne prévoit pas de sanctions", explique Jean-François Dubost, responsable du programme Personnes déracinées d'Amnesty international. "Donc si le Kenya ferme les camps de Dadaab, il y aura violation du droit international, mais on ne pourra rien y faire. Cela dit, le HCR réussira peut-être à coller au plus près des exigences kényanes et à mieux contrôler la sécurité du camp."

Une façon d'amadouer les officiels du pays qui tiennent, quoi qu'ils en disent, à soigner l'image de pays hôte que confèrent au Kenya ces cinq camps. "Le pays ne voudra pas nuire à sa réputation", estime Carolyne Wainaina. Du côté du HCR, on est également optimiste étant données les circonstances : "Difficile de croire, tente de se persuader Karin de Gruijl, que le Kenya, qui a protégé les réfugiés pendant de nombreuses années, les force à partir".