
Le procès de Gilbert Chikli, un escroc à l’origine du phénomène des "arnaques au président", a débuté à Paris lundi. Le principe ? Se faire passer pour le PDG d'une entreprise pour se faire virer des fonds.
La Poste, les Galeries Lafayette, Disneyland Paris ou encore la Caisse d’épargne et les Pages Jaunes ont un point en commun : toutes ces grandes marques ont été victimes de “l’arnaque au président” mise au point par le Franco-Israélien Gilbert Chikli. Le scénario était toujours plus ou moins le même : il appelait un employé d’un groupe en se faisant passer pour son directeur et l’incitait à virer d’importantes sommes d’argent vers des comptes en banque à l’étranger.
Le procès de cet escroc international a débuté lundi 30 mars devant le tribunal correctionnel de Paris, en l’absence du principal intéressé qui a trouvé refuge en Israël, il y a cinq ans. Cet homme et plus d’une quinzaine de complices ont, entre 2005 et 2006, tenté d’escroquer une cinquantaine d’entreprises en France et en Suisse.
358 000 euros à un (faux) agent des services secrets
Il pouvait mettre en place des scénarios très élaborés. Lors de son premier “coup”, Gilbert Chikli a réussi, en se présentant comme le PDG de La Poste, à convaincre un salarié de remettre une mallette contenant 358 000 euros à un (faux) agent des services secrets, lors d’un rendez-vous discret dans un café parisien. Il lui avait expliqué que cet argent servirait à aider à la lutte contre le financement du terrorisme international.
En fait, les fonds ont commencé à garnir les comptes de Gilbert Chikli qui s’est, au fil de ces arnaques, constitué un pactole estimé à plus de 6 millions d’euros. Il ne s’est jamais caché d’avoir participé à ces opérations. Il s’était même vanté, devant un enquêteur français, de la “facilité avec laquelle il avait fait faire de telles choses à des banquiers”, raconte “Le Parisien”.
Après avoir passé quelques mois en prison en France, il a été libéré en 2009 et s’est alors rendu en Israël, qui n'a pas d'accord d'extradition avec la France. Ses victimes réclament à la justice la réparation d’un préjudice estimé à environ 50 millions d’euros.
Jusqu’à dix cas par jour
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Gilbert Chikli, dont la vie va être adaptée au cinéma, passe pour le père de “l’arnaque au président”. Et il a eu beaucoup d’enfants… Les autorités françaises estiment que ce type d’escroquerie a coûté environ 350 millions d’euros à près de 700 entreprises françaises depuis 2011. “Et encore, le montant peut être bien plus élevé car les chiffres remontent à l’année dernière et il y a eu plus de 1200 plaintes depuis”, souligne à France 24, Vincent Hinderer, expert en cybersécurité pour le cabinet français de conseil Lexsi.
La société qui l’emploie a noté une recrudescence de ces escroqueries à partir de juillet 2011. “Au départ, c’était un client tous les jours ou deux jours qui venait nous demander conseil, c’est-à-dire que l’attaque était encore artisanale et à taille humaine”, se rappelle ce spécialiste. Mais très vite, il y a eu environ 10 cas par jour, en France, et “les arnaques au président” sont entrées dans l’ère industrielle. “Il faut des équipes à plein temps capables de développer des faux sites, créer et utiliser des fausses adresses emails et effectuer un travail de crédibilisation de plus ou moins bonne qualité”, souligne-t-il.
D’abord les grands groupes
Le développement fulgurant des réseaux sociaux a encore aggravé le problème. Grâce aux Facebook, LinkedIn et autres Viadeo, les escrocs ont la possibilité de récolter des informations personnelles au sujet de leurs victimes, qui s’avéreront très utiles pour échafauder leur scénario d’arnaque. Si cela ne suffit pas, ils sont aussi capables de s’infiltrer dans les ordinateurs de leurs cibles pour trouver ce qu'il faut - comme des entrées dans l'agenda, des mails - afin de mieux les connaître.
Les nouvelles technologies ont, donc, fourni de nouvelles armes à ces héritiers de Gilbert Chikli. Mais le principe reste le même : convaincre l’employé d’une société qu’il a affaire à son président ou une autorité légitime et l’amener à virer de l’argent.
“Ils ont commencé par cibler les entreprises du CAC 40, car il est plus facile de récolter des informations sur l'organigramme de ces groupes et leur santé financière”, souligne Vincent Hinderer. Par la suite, les petites et moyennes entreprises ont également été arnaquées avec des conséquences économiques parfois fatales. “J’ai connu des PME qui ont dû mettre la clef sous la porte parce qu’elles avaient perdu des centaines de milliers d’euros”, affirme ce spécialiste. Reste que les banques et les compagnies d'assurance peuvent couvrir une partie des pertes.
Premières inculpations en Israël
Ces escrocs peuvent aussi bien chercher à mettre la main sur quelques milliers d’euros que sur des millions d’euros. En janvier 2014, l’usine qui produit le maïs “Géant Vert” en France a, ainsi, perdu 17 millions d’euros à cause d’une de ces arnaques aux faux virements.
La grande majorité des auteurs de ces méfaits viennent de la communauté francophone en Israël. L’argent qu’ils récoltent est “ensuite envoyé en Chine pour y être blanchi via des comptes ouverts dans des pays européens comme Chypre ou des territoires comme Gibraltar”, explique Vincent Hinderer.
Faute d'accord d’extradition avec la France, l’État hébreu pouvait ressembler à un paradis pour ces arnaqueurs. Mais les autorités israéliennes ont commencé à sévir. En décembre 2014, deux Franco-Israéliens ont été inculpé pour une “arnaque au président” dont l’Olympique de Marseille a été victime. Ils s’étaient fait passer pour les agents d’un joueur transféré à l’OM et avait obtenu que le montant du transfert soit viré sur un compte en République tchèque.