Le gouvernement français dévoile, jeudi, un projet de loi qui renforce les pouvoirs des services de renseignement. Les principales mesures sont déjà connues depuis plusieurs jours et inquiètent les défenseurs des libertés individuelles.
Le Premier ministre Manuel Valls écartait, quelque jours après les attentats contre "Charlie Hebdo" début janvier 2015, l’idée d’un "Patriot Act" à la française. Mais les nouvelles mesures de la loi sur le renseignement, dévoilées par “Le Figaro” mardi 17 mars et qui doivent être présentées en conseil des ministres jeudi, renforcent considérablement les pouvoirs des services de renseignement français.
Selon le texte, préparé par le député socialiste et président de la commission des lois à l'Assemblée nationale Jean-Jacques Urvoas, les espions français vont dorénavant pouvoir écouter et intercepter les conversations et correspondances électroniques de suspects en toute légalité. Le projet de loi affirme, en effet, que “la France demeure la seule démocratie occidentale à ne pas bénéficier d'un cadre juridique, laissant de ce fait nos services dans la plus grande indigence juridique, exposant les fonctionnaires qui œuvrent en ce domaine et créant les conditions possibles d'atteintes aux libertés fondamentales pour les citoyens”.
Pas besoin de l’autorisation d’un juge
En clair, les agents du renseignement vont être traités comme ceux la police judiciaire, qui peuvent déjà poser des micros et espionner les conversations dans le cadre de leurs enquêtes. Mais les espions vont bénéficier d’un avantage non négligeable : ils n’auront pas besoin de l’autorisation d’un juge pour passer à l’action et pourront se contenter d’un feu vert des services du Premier ministre.
“Au quotidien, cela ne va pas changer grand chose au travail des agents mais ce cadre légal peut, au moins, détendre les responsables quant à l’utilisation des techniques d’interception, dont l’usage clandestin était devenu politiquement sensible [depuis le scandale entourant la NSA, NDLR]”, assure à France 24 Alain Charret, spécialiste du renseignement et auteur de “La Guerre secrète des écoutes”.
La panoplie d’outils que les espions seront légalement autorisés à déployer peut paraître impressionnante. Ils pourront utiliser des logiciels espions pour surveiller courriels et ordinateurs des suspects, installer des balises GPS dans leurs véhicules, ordonner des écoutes téléphoniques et poser des micros et des cameras de surveillance au domicile de leurs cibles. “Ils auront officiellement la possibilité de tout savoir sur la vie privée des personnes visées grâce à des techniques adaptées à l’ère numérique”, résume Alain Charret.
Mais cet expert affirme qu’il ne faut pas se leurrer : les services de renseignement n’ont probablement pas attendu ce texte pour utiliser le nec plus ultra technologique dans le cadre de leurs enquêtes. L’intérêt de l’inventaire des techniques décrites par le projet de loi serait ailleurs : “Il pose des limitations qui sont autant de garanties pour les défenseurs des libertés individuelles”, juge Alain Charret.
Des faux relais téléphoniques
Ainsi, contrairement au Patriot Act américain, le projet de loi prévoit les cas précis où les espions peuvent utiliser ces outils : défense nationale, intérêts de politiques étrangères, intérêts économiques ou scientifiques majeurs, prévention du terrorisme, de la prolifération des armes de destruction massive ainsi que des “violences collectives pouvant porter gravement atteinte à la paix publique”. Plus spécifiquement, l’utilisation de logiciels espions ne peut pas être autorisée pour une période de plus de deux mois, d’après “Le Figaro” et la pose de balise GPS ou de caméras et micros ne peut être effectuée que par des “agents spécialement habilités”. Elle ne doit, en outre, intervenir qu’en dernier ressort “si aucun autre moyen n'est possible pour obtenir le renseignement recherché”, précise le projet de loi.
Mais un autre outil risque de faire froid dans le dos des défenseurs du droit à la vie privée : les espions sont légalement autorisés à utiliser des “dispositif mobile de proximité”. Derrière cette appellation floue se cachent des outils très efficaces tel que l’Imsi Catcher. “Il s’agit d’une boîte [de la taille d’une valise] qui simule un relai téléphonique et se met entre une personne qui utilise un téléphone portable et la vraie tour relai d’un opérateur”, explique Alain Charret.
Ce petit boîtier peut alors capter toutes les conversations dans un périmètre de plusieurs dizaines, voire centaines de mètres. “Le Figaro” assure que les Imsi Catcher ne permettront de traiter que les métadonnées collectées, c’est-à-dire les numéros de téléphone, la durée de la communication ou encore la géolocalisation. Mais Alain Charret soutient que “ces outils peuvent enregistrer le contenu des conversations”.
Des outils et (trop peu) d’hommes
Qu’ils servent à collecter uniquement les métadonnées ou à enregistrer des conversations entières, ces Imsi catcher ont déjà provoqué des scandales. En janvier 2015, plusieurs de ces petits boîtiers espions ont été découvert dans les quartiers gouvernementaux d’Oslo, Stockholm et d’Helsinki, notamment à proximité des ambassades russes, provoquant une enquête des services de contre-espionnage.
Mais même si Alain Charret reconnaît que le projet de loi “officialise le fait que les libertés individuelles ne pèsent pas lourd face aux pouvoirs des services de renseignement”, il assure que la France ne se transforme pas en État orwellien pour autant. Pour une raison pratique simple : les services de renseignement français ne sont pas la NSA “et n’ont pas les moyens humains de traiter toutes les données que les outils leur permettent de collecter”.
En clair, le sous-effectif du renseignement français serait, d’après lui, le meilleur garde-fou des libertés individuelles. Pour cet expert, “les nouvelles mesures seront surtout efficaces pour rapidement mettre en place une surveillance de personnes ou de petits groupes déjà suspectés mais ne permettent pas, par manque de moyens, d’installer une surveillance de masse”.