
Réflexion sur la "journée des femmes" : et si on se décidait à mettre autant d'énergie et de conviction à triompher des discriminations sexistes qu'on en met dans le combat contre le racisme ?
Comme chaque 8 mars, nous célébrons "la journée des femmes". Pendant 24 heures, une petite journée sur 365, chacun ira de sa parole ou de son action contre les discriminations qui frappent les femmes, que ce soit au foyer (violences conjugales), au travail (inégalités salariales, plafond de verre), à l’église, la synagogue ou la mosquée, bref quasiment partout.
Et puis tout recommencera. Car la condition de la femme ne progresse pas. Au contraire, elle a tendance à régresser, et même de façon inquiétante. Les clercs de toutes les religions veulent soustraire les femmes au regard des hommes, les voiler, les cantonner dans leur rôle de reproductrice. Quand ce n'est pas pire, loin des regards de la société. En Arabie Saoudite ou en Somalie, les femmes violées sont condamnées, pas les violeurs. En France, selon les statistiques du Haut conseil à l'égalité, une femme sur dix de moins de 20 ans dit avoir été victime d'une agression sexuelle. Et 83 % des femmes violées affirment connaître leur agresseur.
Rien n'est acquis
Dans nos démocraties occidentales, où l’on se vante d'avoir abattu les barrières du genre, rien n'est acquis : les conquêtes féministes comme la contraception et l'avortement sont à nouveau menacées. Et pourtant, elles ont aussi profité à beaucoup d’hommes ! L'égalité salariale reste un vœu pieux en France. Les femmes touchent en moyenne un salaire inférieur de 20 % à celui des hommes. Pour moitié, cet écart s’explique par le fait que les femmes parviennent moins bien que les hommes à accéder aux postes de responsabilité, les mieux rémunérés - le fameux plafond de verre. Et ce n’est pas parce qu’elles sont moins diplômées ou compétentes. Souvent la maternité, le suivi d'un enfant en difficulté scolaire, malade ou handicapé, les tâches domestiques qui leur incombent toujours davantage qu'à leur conjoint, tout cela freine leur promotion, parfois irrémédiablement.
Beaucoup d’employeurs ont encore peur de leurs "humeurs" et se méfient d’elles. Serait-ce parce qu'ils se sentent menacés ? Pas impossible. Car les femmes sont souvent de bien meilleures organisatrices que les hommes. Exemple : un sondage intéressant vient de montrer que les hommes comme les femmes considèrent que les déplacements professionnels sont difficiles à concilier avec la vie familiale. Pourtant les femmes sont beaucoup moins nombreuses que les hommes à les refuser !
Nous devrions avoir honte
En vérité, nous devrions vraiment avoir honte de cette situation. Si nous ne pouvons pas assurer l’égalité totale homme-femme, au moins devrions admettre que les femmes, les mères en particulier, devraient pouvoir consacrer moins de temps à leur travail parce qu’elles assument de fait d'autres responsabilités familiales utiles à la société, et parce qu’elle sont plus productives que les hommes. Les plaisanteries sur la meilleure disposition des femmes au "multitask" ne sont pas sans vérité, osons l'admettre. Cessons par exemple d’organiser des réunions professionnelles tardives, ce qui met dans l'embarras les femmes qui s’organisent pour s’occuper de leurs enfants avant qu’ils s’endorment ! Et rappelons-nous que la plus grande période de prospérité qu'ait connu l'Occident a coïncidé avec l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail.
On dira que la parité entrée dans la loi française pour les fonctions représentatives (mais pas pour les conseils d’administration, par exemple) aura été un grand progrès. Très critiquée, cette mesure a été utile, ne serait-ce que parce qu'elle a contribué à modifier le regard et la pratique politique des élus. Mais elle a aussi servi d’écran de fumée devant la condition des femmes.
En vérité, la promotion de la cause des femmes est le dernier combat progressiste qui reste en friche. Si l'on compare avec la lutte contre les discriminations raciales et religieuses que voit-on ? Bien entendu le racisme et l’antisémitisme n'ont pas disparu et ont même tendance à faire un retour en force. Mais Mandela a été libéré et l’apartheid aboli. Les États-Unis ont élu un noir à la présidence (mais pas encore une femme !). Tout employeur qui payerait moins bien un salarié noir s’exposerait à une réprobation sociale et à des condamnations en justice. La moindre critique contre les noirs, les juifs ou les musulmans fait aussitôt l’objet d’une dénonciation sociale rigoureuse.
Mais en France en tout cas, les vexations et autres marques d’irrespect envers les femmes sont traitées à la légère. Ainsi, on peut être député et impunément ironiser ou huer une femme ministre parce que sa tenue est jugée trop "voyante". De même, que penser de l'Académie Française (composée à 99 % d'hommes) qui s'obstine à vouloir conserver la désignation par le genre masculin de fonctions politiques théoriquement accessibles aux femmes comme aux hommes ? C'est ainsi que les valeureux Immortels ont finalement donné raison au député UMP Julien Aubert, qui refusa de s’adresser à la présidente de séance autrement que par un "Madame LE président". Et ce malgré la sanction financière prise contre lui par ses pairs.
On dira que ce ne sont là que de petites anecdotes. Elles sont pourtant révélatrices du fait que tant de 8 mars n’ont pas beaucoup fait avancer la cause des femmes, dont beaucoup d’hommes ont du mal à réaliser qu'elle est celle de l'humanité tout entière.