
Quelque 200 tombes d’un cimetière juif du Bas-Rhin ont été profanées, suscitant une vive émotion en France, jusqu’aux plus hautes sphères de l’État. Retour sur un phénomène criminel qui ne date pourtant pas d’hier.
"C'est une image de désolation", décrit Philippe Richert, le président de la région Alsace devant les 250 tombes profanées jeudi 12 février dans le cimetière juif de Sarre-Union, dans le Bas-Rhin. "De nombreuses stèles sont à terre, des dalles horizontales ont même été soulevées", c’est un véritable "acharnement" surenchérit l’élu alsacien.
Malgré les récents attentats de Paris et au lendemain de l’attaque contre un centre culturel et la grande synagogue de Copenhague, les observateurs refusent de tirer des conclusions sur les motivations des profanateurs. "Il faut être très prudent avant de faire de cet acte de vandalisme un crime politique, note Thierry Legrand, maître de conférences en Histoire des religions à l'université Marc-Bloch de Strasbourg. La tentation est grande d’établir des liens de cause à effet entre la profanation du cimetière juif de Sarre-Union et les récents événements antisémites".
"Profaner, c'est insulter toutes les religions et souiller la République"
Un acte politique d’autant plus difficile à démontrer qu’"aucune inscription n'a été constatée". Lors des premiers interrogatoires, les cinq mineurs placés en garde à vue se sont défendus de tout antisémitisme. Leurs motivations restent floues, mais ils sont "sans antécédents judiciaires" et la justice ne leur connaissait pas "de convictions idéologiques qui pourraient expliquer leur comportement", avait indiqué lundi après-midi le procureur de Saverne Philippe Vannier, précisant qu’ils "considéraient le cimetière comme étant abandonné".
Au-delà des intentions, les actes suffisent à soulever l’indignation. Le président François Hollande s’est rendu sur place, mardi 17 février, accompagné de l'ambassadeur d'Israël en France Yossi Gal, de responsables de la communauté juive française et de représentants politiques de tous bords. Le déplacement du chef de l'État est "un signe très fort", a estimé Sacha Reingewirtz, président de l'Union des étudiants juifs de France, estimant que cette profanation relève d'une "bêtise extrémiste". "Ce que ces jeunes ont fait là, même s'ils n'ont pas conscience de la gravité, ça veut dire que les préjugés antisémites viennent s'installer dans énormément de couches de notre pays", a-t-il ajouté.
"Inconscience, ignorance ou intolérance", c’est la justice qui tranchera, a déclaré François Hollande à Sarre-Union,rappelant que "profaner, c'est insulter toutes les religions et souiller la République". Mardi, les gardes à vue des cinq jeunes ont été prolongées. Ils encourent jusqu'à sept ans d'emprisonnement.
itLes tombes chrétiennes, premières victimes des profanations en France
Ce n'est pas la première fois que le cimetière juif de Sarre-Union fait l'objet de profanations. En 1988, une soixantaine de stèles juives ont été renversées, et en 2001, 54 tombes ont été saccagées. De manière générale, l'Alsace reste la région la plus touchée par les profanations de cimetières juifs avec dix profanations majeures en trente ans.
Est-ce à dire que l’Alsace est une région plus touchée par l’antisémitisme ? Rien n’est moins sûr. "Si les profanations de cimetières juifs sont aussi nombreuses en Alsace, explique l’historien Thierry Legrand, ce n’est pas parce qu’il y aurait plus de groupes néonazis qu’ailleurs, bien au contraire, il y a un dialogue interreligieux qui fonctionne très bien dans la région, précise-t-il. Non, s’il y a régulièrement des profanations de cimetières juifs dans la région c’est tout simplement parce que l’Alsace a été durant de nombreux siècles une terre d’accueil pour la communauté juive et qu’il y a de nombreux cimetières juifs."
La première communauté alsacienne remonte en effet aux alentours de l’an mille. Les juifs installés en Alsace n’ont jamais eu à subir d’expulsion comme dans le reste de la France car la région a longtemps été une terre d’Empire. Le judaïsme a toutefois pris une forme très spéciale en Alsace car les juifs n’étaient pas admis dans les villes. Raison pour laquelle le judaïsme alsacien se caractérisait, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, par une forme originale avec une multitude de petites communautés rurales.
Reste que les profanations, selon les chiffres avancés par le ministère de l’Intérieur, concernent davantage des sites de sépultures chrétiennes. En 2012, 80 % des profanations recensées visent des tombes chrétiennes. Une large proportion qui s’explique là encore par le fait que les lieux de culte catholique sont beaucoup plus nombreux que les autres. D’après l’Observatoire des profanations de lieux religieux, 94 % des lieux de culte sont des monuments catholiques.