
Deux journalistes français de Premières Lignes ont été expulsés ce lundi du Maroc. Arrêtés dimanche soir à Rabat, ils réalisaient un documentaire sur l’économie du royaume. L'agence de presse regrette que le Quai d'Orsay n’ait pas plus réagi.
C’est encore un événement malvenu pour la diplomatie franco-marocaine, alors que Bernard Cazeneuve faisait le déplacement samedi à Rabat. Jean-Louis Perez et Pierre Chautard, deux journalistes de l’agence Premières Lignes, ont été expulsés lundi 16 février 2015 du Maroc vers la France.
Ils travaillaient sur un documentaire traitant de l’économie marocaine et des problèmes de répartition des richesses. Auparavant, ils avaient fait l’objet d’une arrestation dimanche soir dans les locaux de l’Association marocaine des droits de l’Homme (AMDH).
Joint par France 24, Paul Moreira, patron et fondateur de Premières Lignes, a indiqué qu’il avait reçu un appel téléphonique du quai d’Orsay dès samedi pour le prévenir de l’arrêté d’expulsion de ses collègues, avant qu’eux-mêmes n’en soient avertis. Approchés par la police mais libres de leurs mouvements, les deux journalistes ont passé la nuit de samedi à dimanche dans un hôtel, puis ont décidé de se réfugier à l’AMDH.
Selon Paul Moreira, les journalistes n’étaient pas en train de réaliser une interview dans les locaux de l’association mais souhaitaient y trouver du soutien. Il souligne également "le courage des membres de l’AMDH qui ont été enjoints par les autorités à livrer les journalistes mais ont toujours refusé".
Le président de l’association Ahmad El-Haij, justifie ce refus à l’AFP en notant que les policiers "n'avaient produit aucune pièce d'identité ou mandat d'arrêt, mais ont avancé que les journalistes n'avaient pas d'autorisation légale pour tourner au Maroc".
"C’est la première fois que je suis confronté à la raison d’État"
Paul Moreira s’est dit "surpris" par la réaction du quai d’Orsay allant même jusqu’à déclarer que lui et ses équipes s’étaient sentis "lâchés" par les services consulaires français. Selon le patron de Premières Lignes, "la logique diplomatique a primé sur la liberté d’expression".
Contacté par France 24, Romain Nadal - le porte-parole du ministère des Affaires étrangères (MAE) - a déclaré que les journalistes avaient bénéficié d’un suivi du consulat français durant tout l’événement, mentionnant des dizaines de courriels échangés durant le week end. Le porte-parole du MAE évoque également "une hypersensibilité marocaine à tout ce qui touche à la France même si les choses vont rentrer dans l’ordre".
Cette arrestation survient en effet au lendemain d'une visite au Maroc de Bernard Cazeneuve, après une année de brouille diplomatique entre Paris et Rabat. Samedi, le ministre français de l’Intérieur a annoncé que la France décorerait prochainement le patron du contre-espionnage marocain, Abdellatif Hammouchi. Or, c’est ce dernier qui est à l’origine de la brouille entre les deux pays. Poursuivi par la justice française pour des faits de torture, sa convocation devant un juge lui avait été notifiée par sept policiers lors de son passage à la résidence de l’ambassadeur du Maroc à Paris le 20 février 2014.
"L’incident regrettable" selon les termes du MAE, avait abouti à la suspension de la coopération judiciaire entre les deux pays. Ce n’est que fin janvier 2015 que cette coopération a été rétablie, à la faveur d'un accord entre les deux gouvernements.
Romain Nadal a également rappelé que les deux journalistes n’avaient pas obtenu d’autorisation de tournage et s’était donc mis en infraction avec la loi marocaine. De son côté, Paul Moreira insiste sur le fait que l’agence de presse en avait fait la demande en bonne et due forme auprès de l’ambassade du Maroc à Paris et qu’un accord oral leur avait été donné. N’ayant aucun retour formel au bout de quelques semaines, ils avaient pris la décision de passer outre.
"Nous avons été naïfs" regrette le patron de Premières Lignes, "on découvre le Maroc (…), on avait l’impression que ce pays était une démocratie en devenir, ça reste une dictature".
Une arrestation musclée
Selon le témoignage de Taïb Madmad, secrétaire général de l’AMDH, recueilli par RFI, l’intervention des forces de l’ordre marocaines a été particulièrement musclée. Une militante de l’association qui se rendait dans les locaux au même moment et disposait des clés, aurait été plaquée au sol par les policiers afin de les récupérer.
Ainsi la police a pu entrer dans les locaux et arrêter les deux journalistes français qui ont vu leur matériel confisqué ; les ordinateurs, les passeports, le matériel de tournage et même la voiture de location. "Ce sont des dizaines de milliers d’euros de perte pour l’agence" déplore Paul Moreira. Expulsés lundi matin, les deux journalistes devraient atterrir en France dans la journée.
Cette entrave au travail des journalistes n’est pas sans rappeler l’incident du 23 janvier 2015, quand les autorités marocaines étaient intervenues à Rabat pour empêcher le tournage d'une émission de la chaîne arabophone de France 24. L’absence d’autorisation avait été là aussi invoquée.