Le nouveau gouvernement grec estime qu’Athènes mérite qu’une partie de sa dette soit annulée… à l’instar de ce dont a bénéficié l’Allemagne dans les années 1950. Une aide qui lui a permis de prospérer économiquement.
Alexis Tsipras, le nouveau Premier grec, estime avoir un atout de choix dans son jeu pour négocier une réduction du montant de sa dette. Il aime rappeler qu’un autre État européen, aujourd’hui parangon de la vertu budgétaire, a été économiquement sauvé. Ce pays, c’était l’Allemagne des années 1950.
Le leader du parti de gauche radicale Syriza fait référence à une décision prise lors d'une conférence qui s’est déroulée à Londres en 1953. L’Allemagne a alors obtenu que la moitié de ses dettes soient effacées. Alexis Tsipras demande un traitement similaire pour son pays.
Nourrir le moteur allemand à exportations
Dans les années 1950, il avait fallu toute la force de persuasion diplomatique des États-Unis pour convaincre l’Europe, marquée par les atrocités du nazisme. Washington a finalement réussi à convaincre ses alliés que faire cette fleur financière à l’Allemagne de l’Ouest était nécessaire pour reconstruire économiquement l’Europe occidentale afin de faire barrage à l’Union soviétique.
L’Allemagne de l’Ouest, de son côté, avançait les mêmes arguments que la Grèce aujourd’hui. Sans réduction de la dette, il n’y aura pas de croissance. Au final, l’accord de Londres a permis aux Allemands de rembourser seulement s’ils dégageaient un surplus commercial. Bonn ne pouvait pas non plus payer plus de 3 % du revenu de ses exportations. De cette manière, les autres pays étaient incités à importer des produits allemands pour gonfler la balance commerciale de leur ancien ennemi. C'est ainsi que l’Allemagne de l’Ouest a pu bâtir sa machine à exporter qui est, depuis, devenue le moteur du miracle économique allemand.
"La renaissance économique allemande n’est due qu’au non-paiement d’une part importante des dettes et au fait que l’Allemagne n’a pas dédommagé tous les pays qui ont été les victimes [du régime nazi]", soulignait en 2011 l’économiste et historien Albrecht Ritschl à l’hebdomadaire "Der Spiegel". Il rappelle que l’Allemagne "est responsable des plus importantes faillites bancaires du XXe siècle". L’effondrement de son économie au début des années 1930 a fait trembler tous les pays. "Seuls les énormes sacrifices financiers consentis par les États-Unis après la Première et la Seconde Guerre mondiale ont permis à l’Allemagne de devenir un exemple de stabilité économique”, souligne Albrecht Ritschl.
Sentiment antiallemand et "dette historique"
La Grèce n’a, pour l’instant, pas eu un tel traitement de faveur. La thérapie qui lui a été infligée - en échange de deux plans de sauvetage financier - implique de douloureuses coupes budgétaires et des hausses d'impôts. Ces remèdes lui interdiraient de retrouver le chemin de la croissance, d’après les critiques de cette cure d’austérité. Ils rappellent que seulement 10 % de l’argent versé par la Troïka (Fonds monétaire international, Banque centrale européenne et Union européenne) a été injecté dans l’économie grecque, le reste à servi à rembourser les dettes accumulées.
La destruction du tissu social grec s’est accompagnée d’une montée du sentiment antigermanique dans ce pays économiquement meurtri par six ans de récession. La population n’accepte d’autant moins l’intransigeance de Berlin que les médias et certains politiques - dont Alexis Tsipras - rappellent que la Grèce a su se montrer généreuse après la Seconde Guerre mondiale. En 1953, Athènes n’avait pas exigé de l’Allemagne le remboursement de l’argent que le régime nazi avait "emprunté" à la Grèce durant l’occupation du pays. Le IIIe Reich aurait ainsi pris à la Grèce au moins 24 milliards de dollars pour financer son effort de guerre. Certains estiment même que le montant total est dix fois supérieur.
Pour beaucoup, Alexis Tsipras a voulu rappeler à l’Allemagne cette "dette historique" lorsqu’il a déposé, mardi 27 janvier, une gerbe sur le mémorial aux communistes grecs tués par les nazis. Le contraste entre l’accord de Londres en 1953 et l’intransigeance actuelle à l’égard de la Grèce démontre à quel point la pensée économique a changé en 70 ans. Après les deux guerres mondiales, l’idée était qu’étouffer une économie nourrissait les extrêmes et qu’éviter une nouvelle dérive était la priorité politique et économique. Les mêmes arguments ont été brandis après la généralisation des politiques d’austérité en Europe après 2010. Mais cette fois-ci, les dirigeants européens ont préféré placer l’épuration des dettes avant toute autre considération.