
Un sondage publié par "Le Monde" et Europe 1 révèle qu’une majorité de Français est favorable à une politique plus sécuritaire contre l’extrémisme religieux telle que prônée par la droite, mais redoutée par les défenseurs des droits de l’Homme.
La peur est-elle en train de gagner les esprits ? Les attentats perpétrés il y a trois semaines en France ont créé une immense vague d’émotion et de solidarité. Près de 4 millions de Français ont défilé dans les rues le 11 janvier contre le terrorisme et au nom de la liberté d’expression. Mais que reste-t-il de cet élan dans une France aussi attachée à ses symboles qu’à sa sécurité ?
>> À voir sur France 24 : "Et maintenant... Comment rester fidèle à l'esprit du 11 janvier ?"
Selon un sondage Ipsos/Sopra-Steria pour Le Monde et Europe 1 publié mercredi 28 janvier, les Français sont, à une écrasante majorité, favorables à un durcissement des mesures destinées à lutter contre l’extrémisme religieux.
Ce sondage, réalisé deux semaines après les attentats, révèle que 95 % des Français veulent "durcir les conditions de détention des détenus qui contribuent à propager les idées extrémistes dans les prisons" ; 90 % sont favorables à la "déchéance de nationalité des Français qui partent faire le jihad en Syrie" et 89 % veulent "restreindre la liberté d’opinion sur Internet en cas de propagation des idées jihadistes".
Propositions de loi et de réformes se multiplient
Des velléités qui valident les propositions du gouvernement dont les trois dernières semaines ont été particulièrement chargées : Renforcement du plan Vigipirate, mobilisation de l'armée, création d'emplois pour lutter contre le terrorisme, déchéance de nationalité pour les terroristes, plan pour un meilleur encadrement des détenus endoctrinés dans les prisons… Les annonces pour lutter contre la menace terroriste sur le territoire se sont multipliées depuis le 21 janvier.
Ces mesures sont pourtant considérées comme insuffisantes par la droite et l’extrême droite. Marine Le Pen a dénoncé un "concours de la mesure la plus microscopique" contre le terrorisme. "Si on ne revoit pas absolument de fond en comble la politique d'immigration, la maîtrise de nos frontières, avec une lutte acharnée contre le communautarisme, pour la laïcité, la lutte contre le fondamentalisme (…) alors on ne règlera aucun des problèmes", assurait-elle le 23 janvier , lors d’un déplacement dans le Doubs.
Du côté de l’UMP, les hérauts du "tout sécuritaire" ont également donné de la voix. Moins de 24 heures après les attentats, la députée des Yvelines, Valérie Pécresse, appelaient de ses vœux la mise en place d’un "Patriot Act" à la française. Les très droitiers Christian Estrosi, Eric Ciotti ou Thierry Mariani lui ont rapidement emboîté le pas, n’hésitant pas à appeler, tel le député UMP d’Alpes-Maritime Eric Ciotti, à "modifier le curseur entre liberté et sécurité".
Réformes carcérales sur la table
Le député-maire de l'Essonne et ancien candidat à l’Élysée, Nicolas Dupont-Aignan a, de son côté, ni plus ni moins proposé le rétablissement d’un centre de détention à Cayenne, une sorte de Guantanamo à la française "qui permette d'isoler ces fous furieux", tels qu’ils désignent les jihadistes.
S’il y a peu de chance que la ministre de la Justice, Christiane Taubira, ou que le Premier ministre, Manuel Valls soutiennent un tel projet, le chef du gouvernement a néanmoins annoncé une réforme prochaine de la lutte antiterroriste en milieu carcéral. Il préconise notamment "l'encellulement individuel pour lutter contre la radicalisation en prison" et l’isolement d’"un certain nombre d'individus qui présentent un danger".
Des actions ont déjà été mises en place pour "protéger la majorité des personnes détenues des pressions exercées par la minorité des personnes détenues prosélytes", selon la ministre de la Justice. Dans la maison d’arrêt de Fresnes, 23 détenus ont été regroupés dans un quartier spécifique afin "d’éviter les contacts avec la population carcérale".
"Isoler les détenus, c’est les enfermer dans leur radicalité"
Mais pour les défenseurs des droits de l’Homme, ces mesures risquent au mieux d’être inefficaces, au pire contre-productives. "La peur est mauvaise conseillère", estime Mourad Benchellali, interrogé par France 24. Incarcéré à Guantanamo de 2002 à 2004 pour ses liens avec Al-Qaïda en Afghanistan, puis à Fleury-Merogis de 2004 à 2006, Mourad fait aujourd’hui de la sensibilisation auprès des jeunes français qui pourraient être tentés par le jihad.
>> À lire sur France 24 : Témoignage de Guantanamo - ""Je peux pas... res... p... i... rer !"
Il prévient des risques d’une "dérive sécuritaire". "On combat l’islam radical comme on traite les maladies incurables. On ne considère le risque de contagion qu’à sens unique en imaginant toujours le scénario du radical qui contaminerait les autres, regrette-t-il. Isoler les détenus, c’est les enfermer dans leur radicalité", assure-t-il.
Son avocat, William Bourdon, auteur de plusieurs ouvrages sur les questions de justice internationale et de droits de l’Homme, redoute lui aussi les "effets pervers" d’une société sécuritaire. Dans "la lutte contre le terrorisme, il y a toujours des victimes collatérales" redoutait-il lors d’une conférence de presse organisée par Amnesty International à Paris, le 22 janvier.
Selon l’homme de loi, le délit d’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste – une exception judiciaire française - en est le premier exemple. "Cette procédure a un effet pervers qui crée une présomption de culpabilité. Si on se trouve au mauvais endroit, au mauvais moment avec la mauvaise personne, on peut prendre plus de cinq ans de prison". D'après les chiffres de la chancellerie, 283 personnes sont écrouées en France pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme ; 152 sont reconnus comme islamistes dangereux. Une soixantaine - en région parisienne à 90 % - le serait particulièrement.
William Bourdon estime que "beaucoup de Français sont prêts à changer un peu de liberté publique contre une promesse de sécurité. Ils sont prêts à signer le pacte de Faust". C’est, notamment, accepter l’idée que "la fin justifie les moyens". Le sondage Ipsos/Sopra-Steria ne le contredit pas.