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à Wissous (Essonne) – Refusée par le maire de Champlan, l'inhumation du bébé rom décédé dans l'Essonne le 26 décembre a finalement eu lieu à Wissous, une commune voisine. Pendant les funérailles, les proches, accablés, ont refusé d'évoquer la polémique.

Elle a vieilli prématurément. Accablée par le chagrin, la tête recouverte d’un voile blanc, la mère de Maria Francesca, le nourrisson rom décédé le 26 décembre, semble avoir pris 20 ans. Illéana n’a que 35 ans. Courbée, soutenue par ses proches, elle peine à avancer dans l’Église Saint-Paul, à Massy (Essonne), où les funérailles de sa petite fille ont lieu, avant la mise en terre à Wissous. Devant le cercueil blanc de son enfant, recouvert de fleurs et de bougies, Illéana ne bougera pas. Elle restera agenouillée pendant toute la durée de la cérémonie.

Maria Francesca est décédée la nuit qui a suivi Noël, de la mort subite du nourrisson, à l’hôpital de Corbeil-Essonnes. En quelques jours, sa mort a pris une ampleur médiatique considérable. Au point de devenir le symbole des discriminations à l’égard des Roms jusque dans la mort. La disparition de Maria Francesca a en effet été suivie par une vive polémique autour de son inhumation. Christian Leclerc, le maire de Champlan, commune où les deux autres enfants d’Illéana sont scolarisés, aurait refusé d’accueillir le nouveau-né dans le cimetière de sa ville.

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L’intéressé a eu beau nier, plaider une "erreur de compréhension", dénoncer une "mascarade médiatique" et même s'excuser, trop tard. Dès le 3 janvier, l’affaire fait la une des journaux. Même le Premier ministre Manuel Valls s’est fendu d’un tweet, le 4 janvier, dans lequel il dénonce la décision du maire de Champlan : "Refuser la sépulture à un enfant en raison de son origine : une injure […] à ce qu’est la France."

"Éteignez vos caméras !"

C’est finalement le maire de Wissous, Richard Trinquier, qui s’est lui-même illustré dans une autre affaire de "discrimination" à l’égard des femmes voilées à l’été 2014, qui s'octroie le beau rôle. L’édile UMP a proposé d’offrir une sépulture à la petite Rom dans le cimetière de sa commune, par "souci d’humanité".

Très discret pendant les funérailles, Richard Trinquier n’est resté que quelques minutes à la cérémonie à Massy qui a débuté vers 11 heures. Assailli par les journalistes - venus en nombre et parqués à l’extérieur de l’édifice religieux - le maire de la ville voisine n’a pas fait de longues déclarations. À ses côtés se trouvait Jérôme Guedj, le président PS du Conseil général de l’Essonne, quelques élus, et plusieurs membres de l’association Solidarité Essonne familles roumaines et roms (ASEFRR). En tout, une centaine de personnes, dont une vingtaine de Roms, ont fait le déplacement pour rendre hommage au nourrisson. Toutes se sont montrées très réticentes à l’idée de se faire interviewer.

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"Nous sommes là pour la famille. Nous n’avons rien à vous dire sur le maire de Champlan", ont confié un couple de Massicois aux médias avant de rentrer dans l’église. "Vous ne pourriez pas parler de dignité et de respect plutôt que de nous interroger sur la polémique ?", lance un autre en balayant d’une main un micro s’avançant vers lui.

Pour respecter le deuil de la famille, les médias ont fait le choix de rester à quelques mètres de l’entrée de l’Église. Très peu ont franchi les portes de Saint-Paul, dont les parois vitrées laissaient entrevoir le déroulement des obsèques. Une prise de distance qui n’a pas suffi à éviter quelques tensions avec les Massicois et des proches d’Illéana, accusant les journalistes de "voyeurisme" et "d’indécence". "Vous n’avez pas honte de filmer ça ?", a lancé une habitante de Wissous, venue se recueillir sur la tombe du nourrisson. "Éteignez vos caméras !", a pesté un autre paroissien, en tentant d’empêcher un journaliste de filmer.

Tragédie grecque

La famille d'llléana n’a pas réagi face à la cohue de journalistes. Elle ne les a d’ailleurs presque pas regardés. Le père de Maria Francesca, Marin, vêtu d’un simple survêtement gris malgré le froid hivernal, n’a rien dit non plus, se contentant d’allumer cigarette sur cigarette, en attendant l’arrivée du cercueil de sa fille. "Ils sont accablés, ils sont noyés dans le chagrin", a déclaré Loïc Gandais, le président de l’association d'aide aux Roms (ASEFRR), qui a lui aussi refusé de s'étaler sur l’aspect politique de cet enterrement. "Ce n’est pas l’endroit. Mais c’est vrai que c’est une tragédie, on ne peut s’empêcher de penser à Sophocle, ici", a-t-il ajouté, faisant allusion à Antigone, tragédie grecque dans laquelle la fille d’Oedipe brave un ordre du roi qui interdit la mise en terre de son frère Polynice.

Seul un ami de la famille s’est approché des caméras, son fils de 7 ans se cachant derrière ses jambes. "Je ne sais pas quoi vous dire… ", a-t-il simplement lancé, visiblement intimidé par les nombreux micros ayant fondu sur lui. "Nous, on demandait 1 m2 pour le cercueil, pour le cimetière, seulement 1m2 ! Et il [Christian Leclerc] a dit ‘non’. Et ce n’était pas un ’non’ comme tout le monde."

À la fin de la messe, Illéana est restée de longues minutes à pleurer sur le cercueil de Maria Francesca avant que celui-ci ne soit emporté vers la commune voisine de Wissous. "Je crois qu’il y a une place en enfer pour le maire de Champlan", a déclaré peu après José, un habitant de Longjumeau, devant la difficulté de cette mère de famille à suivre le cortège funéraire. Maria Francesca repose désormais dans l’allée des Pivoines, au cimetière de Wissous, à quelques mètres seulement de l’aéroport d’Orly. Le corps a été mis en terre à 13 h. Heure à laquelle un avion a décollé derrière la clôture du cimetière couvrant dans un bruit assourdissant la dernière bénédiction du prêtre. "Tu vois ? Au moment où on fait descendre Maria sous terre, eux, ils montent au ciel", a glissé en souriant une vieille paroissienne de Massy à sa voisine qui lui a répondu : "C’est bruyant, mais c’est plutôt joli comme clin d’œil, non ?"
 

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