
L’Europe a donné son feu vert, lundi, à l’ambitieux projet de nouvelle fusée Ariane 6. Mais à l’heure des coupes budgétaires dans tous les pays européens, ce programme, qui doit coûter quatre milliards d’euros, est-il vraiment une priorité ?
L’accord a été annoncé en fanfare. L’Europe a décidé, mardi 2 décembre, de mettre en chantier le projet de lanceurs Ariane 6 et d’y allouer une enveloppe de 4 milliards d’euros. L’ambition des 20 pays membres de l’Agence spatiale européenne (ESA) est de faire voler la nouvelle fusée d’ici à 2020. “C’est un grand succès”, s’est félicité Jean-Jacques Dordain, directeur général de l'ESA, tandis que Geneviève Fioraso, secrétaire d’État française à la Recherche est allée encore plus loin, évoquant une “décision historique”.
Pourtant, à première vue, Ariane 6 n’a rien de révolutionnaire. La maquette de la nouvelle fusée européenne “ressemble furieusement à Ariane 4 [...] et à l’intérieur on retrouve surtout des vrais morceaux d’Ariane 5”, note le blog Sciences² du quotidien “Libération”. A priori, rien d’étonnant à cela puisque la dernière génération de lanceurs européens, en service depuis 1996, a été un vrai succès, avec 62 missions d’affilée sans accroc. Reste que qualifier d’historique une mise à niveau d’Ariane 5 pour quatre milliards d’euros peut sembler étonnant. Surtout à l’heure des coupes budgétaires dans toute l’Europe.
Sur les pas de l'Américain SpaceX
Mais la révolution est dans la démarche qui sous-tend le projet d’Ariane 6. “C’est un changement profond de paradigme”, assure Benoit Mosser, professeur à l’Observatoire de Paris en charge du Master outil et systèmes de l’astronomie et de l’espace. Le nouveau lanceur doit “proposer la même qualité pour un prix moindre”, résume ce spécialiste.
C’est tout le défi “historique” de la prochaine fusée. Pendant plus de 40 ans, le programme spatial européen a misé sur l’excellence, coûte que coûte. “Mais nous ne sommes plus dans l’ère des pionniers, il faut passer ce cap”, souligne Benoit Mosser. La nouvelle génération d’engins spatiaux, plus compétitifs sur les prix, est symbolisé par le lanceur américain SpaceX ou la mission martienne indienne “Mars Orbiter”. À titre de comparaison, SpaceX promet d’envoyer des satellites en l’air pour 60 millions de dollars, contre 120 millions de dollars pour un lancement d’Ariane 5. Le successeur de la vénérable fusée européenne devrait permettre de ramener le prix à environ 90 millions de dollars. C’est plus compétitif.
L’Europe spatiale, mieux que la Nasa ?
Tout l’enjeu du nouvel accord européen était de faire accepter par tous que moins cher ne signifie pas moins bien. L’ESA a “50 ans d’expertise technologique de pointe qui permet de continuer à faire de la haute qualité en l’intégrant dans des 'process' de demain”, analyse Benoit Mosser. Pour lui, l’Europe a fait le “bon choix au bon moment”.
Après le succès de la sonde Rosetta, qui s’est posée sur un astéroïde, cette autre bonne nouvelle donne une image flatteuse de l’Europe spatiale. “Il est de bon ton de broyer du noir sur le projet européen, mais en matière spatial, on peut être profondément fier d’être européen”, affirme Benoit Mosser.
D’autant plus que l'Europe garde un cap, celui de rester à la pointe des lanceurs, comparé aux tergiversations américaines sur ce domaine. Mission martienne ? Vol habité ? Tourisme spatial ? La Nasa court plusieurs lièvres à la fois sans afficher de réelle priorité. “C’est l’un des avantages d’avoir, en Europe, à trouver un compromis. C’est peut-être plus long à faire, mais au final, on s’y tient. Alors qu’aux États-Unis, c’est plus versatile, la Nasa peut lancer un grand projet puis le laisser tomber du jour au lendemain”, analyse Benoit Mosser.
Une “nécessité économique”
Mais l’accord sur le programme Ariane 6 n’est pas que source de fierté européenne, c’est aussi “une nécessité économique”, estime Marc Ivaldi, expert en économie industrielle à la Toulouse School of Economics. Il juge que les besoins en satellites vont aller croissants et que disposer d’un lanceur compétitif est, à cet égard, essentiel. “L’explosion des télécom, de la météorologie, des objets connectés sont autant de consommateurs d’informations véhiculées par les satellites”, rappelle-t-il.
Les investissements dans des grands chantiers tels qu’Ariane 6 sont aussi un vecteur de croissance économique. “La relance par la consommation ou les investissements dans les infrastructures comme les routes, par exemple, a ses limites dans des économies déjà très développées comme c'est le cas en Europe”, rappelle Marc Ivaldi. Reste donc les grands projets technologiques ou la transition énergétique. L’Europe ayant déjà un avantage comparatif dans le domaine spatial, Ariane 6 est un choix logique.
Seul point noir : l’emploi, qui reste le problème principal en Europe. “Ce n’est pas le genre d’investissement qui va permettre, à court terme, de réduire le chômage”, reconnaît Marc Ivaldi. Les quatre milliards d’euros mobilisés pour la nouvelle fusée, et huit milliards si on y ajoute l’enveloppe pour continuer à soutenir Ariane 5 et participer au financement des lancements, risque donc de laisser de marbre les plus de 25 millions de demandeurs d’emploi européens.