
Une quinzaine de ministres algériens emmenés par le chef du gouvernement Abdelmalek Sellal sont reçus jeudi et vendredi, à Paris. L’occasion de pour l'Algérie de signer quelques contrats, sans abandonner son indépendance économique. Interview.
Entre l’Algérie et la France, c’est un peu "je t’aime, moi non plus". Après l’amour, les crises et le rejet, l’heure est au réchauffement entre Alger et Paris. Depuis l’arrivée de François Hollande à l’Élysée, tout est mis en œuvre pour transformer ce rapprochement fragile en un partenariat privilégié. Du 4 au 5 décembre, Paris déroule le tapis rouge à l’ami algérien à l’occasion du deuxième Comité intergouvernemental de haut niveau franco-algérien. Flanqué d’une quinzaine de ministres, le chef du gouvernement algérien, Abdelmalek Sellal, rencontrera le chef de l’État français, le Premier ministre Manuel Valls mais aussi le président du Medef, Pierre Gattaz. Car si la France est le deuxième partenaire économique de l’Algérie, avec environ 10 milliards d’euros d’échanges pour l’année 2013, elle peine à détrôner le leader chinois. Pour Karim Amellal, enseignant à Sciences Po, fondateur de Chouf-Chouf et de l’encyclopédie en ligne Sam Network, l’Algérie ne veut surtout pas dépendre d’un seul partenaire économique. Entretien.
France 24 : Inauguration de l’usine Renault à Oran en grande pompe il y a quelques semaines, Sommet franco-algérien à Paris avec une délégation d’une quinzaine de ministres… Assiste-t-on à une nouvelle lune de miel entre Paris et Alger ?
Karim Amellal : Ce processus de renforcement des relations bilatérales existe depuis la visite d’État de François Hollande en Algérie en 2012. C’était le premier jalon du réchauffement. Cette visite d’Abdelmalek Sellal en France avec une telle délégation marque une nouvelle étape. Mais il faut relativiser. D’abord, parce qu’il faut arrêter avec cette histoire d’usine Renault, c’est un symbole qui est dérisoire sur le plan économique. On oublie son coût, son financement et surtout ce qu’elle va produire par rapport à l’usine Renault au Maroc, qui est dix fois plus importante. C’est un investissement mineur, le constructeur l’a d’ailleurs fait sur incitation des autorités. La voiture qui va sortir de cette usine s’appelle Symbol et on ne pouvait trouver mieux. Évidemment que la France est un partenaire majeur de l’Algérie, notamment sur le plan économique mais aussi sur le plan politique, diplomatique. Les négociations à Alger avec les autorités maliennes sont extrêmement importantes pour la France compte tenu de son intervention militaire. Mais la part de la France dans les échanges économiques avec l’Algérie a reculé ces dernières années, en particulier pendant le mandat de Nicolas Sarkozy. La Chine est le premier partenaire économique d’Alger. Cependant, il faut bien noter que l’Algérie veut diversifier ses partenaires. C’est pour cela que la même visite aura lieu avec la même délégation d’ici peu en Angleterre. Matteo Renzi, le président du Conseil italien, était mardi en Algérie. Même si lune de miel il y a entre Paris et Alger, l’Algérie ne veut dépendre de personne. Encore moins de la France.
On parle d’une vingtaine d’accords emblématiques qui pourraient être signés lors de ce sommet. Finalement, les relations franco-algériennes ne se résument-elles pas à une relation d’affaires ?
La relation avec l’Algérie ne peut pas être résumée à une relation d’affaires. Il y a l’histoire, la politique et la diplomatie qui sont essentiels, mais aussi parce qu’il y a une diaspora algérienne considérable en France. C’est complexe. Mais la France a indéniablement perdu du terrain. Lors du quinquennat de Sarkozy, les relations étaient exécrables avec Bouteflika. Le président français se désintéressait totalement du monde arabe, de l’Afrique du Nord et en particulier de l’Algérie. Il est évident que la France fait moins que ce qu’elle pourrait faire. Les Britanniques ne s’embarrassent pas de discours politiques : les relations d’affaires sont plus importantes. Comme l’indiquait une note du Foreign office récemment, l’Algérie est un marché considérable. La relation entre l’Algérie et la France a trop de symboles, peut-être au détriment d’opportunités d’affaires, de relations économiques. C’est toujours les mêmes entreprises, toujours dans les mêmes secteurs d’activité. C’est dommage parce que c’est un marché énorme.
Est-ce que ces relations pourront un jour être dépassionnées ? Est-ce qu’on peut envisager un jour un partenariat privilégié ?
En dépit de l’absence d’un leadership en Algérie, la relation franco-algérienne évolue et se renforce. Ça va durer et les deux parties sont disposées à aller de l’avant. Bien sûr que la relation ne sera jamais décomplexée. On n’efface pas 132 ans de colonisation, une guerre meurtrière et tout ce que l’on ressasse d’un côté comme de l’autre. Elle ne sera jamais normale, elle sera toujours spéciale. C’est le legs de l’histoire. L’enjeu, c’est d’en faire une relation gagnant-gagnant. Mais au-delà des humeurs et des aléas politiques, de part et d’autre, je suis certain que cette relation va évoluer dans le bon sens. La principale raison, c’est la diaspora. Les échanges économiques entre les Algériens et cette diaspora se développent. Ce n’est que le balbutiement. Il y a de plus en plus de membres de la diaspora qui créent leur entreprise en Algérie et de la valeur ajoutée. C’est une nouvelle ère qui s’ouvre.
Une fois de plus le président Bouteflika brillera par son absence lors de ce sommet...
On ne le voit jamais mais il prend des décisions. Abdelaziz Bouteflika est très favorable à François Hollande. Ça se passe très bien entre eux. Il voit également régulièrement des représentants français en Algérie. La semaine dernière, c’était Jean-Louis Bianco, nouveau représentant spécial pour les relations avec l’Algérie. Mais il y a eu aussi le chef de la diplomatie Laurent Fabius, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian etc. C’est le paradoxe de l’Algérie. Il n’est pas là, il est malade mais il prend les décisions et les responsables politiques français le savent. Sur cette question franco-algérienne en tout cas, rien ne peut se faire sans son assentiment.
L’Algérie a-t-elle besoin de la France ou est-ce plutôt l’inverse finalement ?
L’Algérie n’a pas besoin de la France. Elle peut trouver des partenaires économiques ailleurs en Europe, elle le fait d’ailleurs avec l’Italie ou la Grande-Bretagne. L’Europe est en crise. Elle a besoin de marchés, elle a besoin de croissance. L’Afrique du Nord est une opportunité. À l'inverse, la France a besoin de l'Algérie. C’est un marché vierge, un marché de 40 millions d’habitants. La France a besoin de l’Algérie pour des raisons de sécurité régionale, de lutte contre le terrorisme car c’est un partenaire indispensable. Sur le plan du rayonnement culturel et de la Francophonie, la France a perdu des partenaires importants en Afrique du Nord. Elle a besoin de l’Algérie parce que ça reste un pays francophone, même si le poids du français s’amoindrit de jour en jour. Alger peut jouer le rôle de relais, d’appui en Afrique pour le rayonnement de la France.