Avec 52,1 millions d’entrées cumulées hors de France, le film "Lucy" de Luc Besson est devenu le plus gros succès du cinéma hexagonal à l'étranger. Mais quelle est donc la recette magique du réalisateur français le plus exporté ?
Aucun film français n’avait fait aussi bien. Avec 52,1 millions d’entrées engrangées hors de France, "Lucy", de Luc Besson, est devenu le plus gros succès du cinéma hexagonal jamais enregistré à l’international, selon des chiffres rendus publics, vendredi 7 novembre, par UniFrance.
Ce long-métrage en langue anglaise, mettant en scène une Scarlett Johansson aux capacités cérébrales décuplées, prend ainsi la tête d’un palmarès que l’auteur du "Grand Bleu" dominait déjà. C’est en effet "Taken 2", un thriller estampillé EuropaCorp, sa société de production, qui détenait le précédent record avec 47,8 millions d'entrées. Lequel avait, en 2012, lui-même détrôné un film signé Luc Besson, "Le Cinquième élément" (35,7 millions).
Comment expliquer une telle hégémonie ? France 24 s’est penché sur les sacro-saints commandements qui ont permis à Luc Besson de devenir le plus gros exportateur de films "made in France".
- Tu tourneras en anglais
C’est le principe de base pour quiconque a l’ambition de conquérir le marché international. Le français, c’est chic, romantique, très "cinéma d’auteur", mais cela ne remplit pas forcément les salles. Notamment outre-Atlantique où on sait le public peu enclin à "lire" des dialogues durant une séance. On imagine mal en effet un film sous-titré, fût-il signé Luc Besson, capable d’attirer, comme l’a fait "Lucy", quelque 15,7 millions de spectateurs aux États-Unis et au Canada anglophone.
Idiome des affaires, la langue de Shakespeare a l’avantage d’être aussi celle du divertissement de masse. Au même titre que les effets spéciaux, les cascades et les grosses explosions, l’anglais demeure un élément constitutif du blockbuster. Un label qualité en quelque sorte qui, plus que toute autre langue, peut convaincre des foules du monde entier de se déplacer jusque dans les salles obscures : 3,5 millions au Mexique, 3,4 millions en Russie et 2 millions en Corée du Sud… "Lucy" n’aurait très certainement pas réalisé de tels scores s’il avait été tourné en français.
Les quatre films les plus récents tournés par Luc Besson l’ont été en anglais ("Lucy", "Malavita", "The Lady", "Arthur 3 : la guerre des deux mondes"). Son dernier long-métrage en français remonte à 2010. Il s’agissait alors des "Aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec", adaptation de la bande-dessinée à succès de Tardi, qui avait enregistré 4,8 millions d’entrées. On est loin des scores de "Lucy".
- Tu miseras sur l’action
Les succès internationaux de Luc Besson génèrent autant de substantielles recettes que l’exaspération de la presse. Peu nombreux, en effet, ont été les critiques qui ont vu en "Lucy" un trésor de finesse. Le réalisateur n’en a cure. En fin connaisseur des lois du marketing, il sait ce qu’un scénario aussi épais qu’un fil dentaire peut avoir de séduisant auprès du public. "Lucy" peut ainsi se résumer comme les aventures d’une étudiante sexy qui, en développant 100 % de ses capacités cérébrales, se voit doter de super pouvoirs. "Malavita" ? Les tribulations d’une famille de mafieux new-yorkais installée en Normandie. "Taken" ? Un ancien agent secret prêt à tout pour sauver sa fille des griffes de malfrats albanais.
"Luc Besson pare au plus simple, observe Bernard Besserglik, critique à "The Hollywood Reporter". Il injecte un maximum d’action et un minimum de psychologie. C’est la structure qui compte : un personnage simple auquel on s’attache et qui doit surmonter une succession d’obstacles. Il applique toujours la même formule bien rodée sur laquelle il fait des variantes." Aussi pourrait-on, en grossissant le trait, déterminer l’archétype du film bessonien : un héros solitaire épris de vengeance qui s’en va régler son compte à un sadique chef de gang et finit par se rendre compte que l’amour triomphe toujours à la fin.
"C’est con comme un balai mais c’est du divertissement d’une impressionnante efficacité, car il considère que le spectateur doit en avoir pour son argent, ajoute Thomas Baurez, journaliste à "Studio-Ciné Live" et chroniqueur à France 24. Ce qui marche moins bien chez Besson, c’est quand il essaie de faire l’intelligent. Là, il n’est plus à sa place." Lorsqu’en 2005, le cinéaste s’est essayé au conte philosophique avec "Angel-A", il s’est effectivement cassé les dents sur le box-office. Quant à "The Lady", le biopic qu’il consacra en 2011 à l’opposante birmane Aung San Suu Kyi, il n’a remporté qu’un succès mitigé à travers le monde.
- Tu mettras des stars hollywoodiennes à l’affiche
Par expérience, Luc Besson sait mieux que quiconque qu’une star américaine vaut mieux qu’une vedette française. Malgré sa notoriété en Hexagone, Jamel Debbouze n’est pas parvenu à sauver "Angel-A" de l’échec commercial. Idem pour Louise Bourgoin, héroïne des "Aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec".
Force est de constater que le réalisateur-producteur français a toujours eu plus de chances avec les comédiens américains qu’il a été amené à diriger : Rosanna Arquette pour "Le Grand Bleu", le duo Bruce Willis-Milla Jojovich ("Le Cinquième élément"), Liam Neeson ("Taken") ou encore Scarlett Johansson ("Lucy")…
Mais Luc Besson ne se contente pas de débaucher des acteurs en vue - pour ne pas dire rentables - pour gonfler ses résultats au box-office. Il a plusieurs fois démontré que ses films pouvaient faire office de rampes de lancement pour comédiens en herbe. Acteurs aujourd’hui rares, Jean-Marc Barr ("Le Grand Bleu"), Anne Parillaud ("Nikita") ou Samy Naceri (la série "Taxi") lui doivent une part de leur succès. Et la carrière internationale de Jean Reno n’aurait certainement pas décollé sans son rôle dans "Léon", long-métrage qui révéla d’ailleurs la jeune Natalie Portman, alors âgée de 13 ans.
Reste que les acteurs dépêchés d’Hollywood ne suffisent pas toujours à faire décoller le nombre d’entrées. Luc Besson eut beau s’attacher les services de Robert de Niro et Michelle Pfeiffer pour "Malavita", le film n’a pas eu le succès escompté.
- Tu planteras un décor exotique
Plus on délocalise, plus ça rapporte. Après être parti en opération séduction aux États-Unis avec "Léon", dont l’action se déroulait à New York, Luc Besson a étendu son territoire de production à l’Asie. "Lucy" aurait pu, après tout, se passer dans n’importe quelle mégalopole du monde, mais c’est à Taipei, la capitale de Taïwan, que l’héroïne commence ses aventures. Un appel du pied fort peu discret envoyé en direction du public asiatique. Et cela fonctionne : en dix jours d’exploitation en Chine, le film a déjà cumulé 6 millions d’entrées…
Cette affinité récente pour des contrées jusqu’alors ignorées des grosses productions - à part peut-être dans les James Bond -, n’a pas pour but de décrire une réalité du monde mais de recréer un cadre sur lequel tout à chacun peut projeter ses fantasmes. "Taken 2", par exemple se passe à Istanbul, cependant ce n’est pas le contexte socio-politique de la Turquie qui intéresse Luc Besson, mais uniquement le décor, un décor qui représente un certain exotisme et une menace.
"Ce que Luc Besson a rapidement pris en compte, c’est le côté mondialisé du cinéma, abonde Thomas Baurez. Ce qu’il veut faire, c’est du cinéma exportable et il le fait de manière décomplexée. Luc Besson, c’est le roi du recyclage. En récupérant le cinéma américain, sud-coréen ou hongkongais, il offre un gloubi-boulga de références qui aseptise le tout et donc peut plaire au plus grand nombre. En clair, il fait des films qu’on regarde dans les avions."