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Le 4 novembre, les Américains renouvellent la Chambre des représentants et un tiers du Sénat, au cours des élections de mi-mandat. Au-delà du classique combat politique se joue une autre bataille majeure : celle de l'accès des électeurs au vote.
Les électeurs américains sont appelés à renouveler les 435 sièges de la Chambre des représentants et 36 des 100 sièges du Sénat. Sur ces 36 sièges, 21 sont actuellement détenus par le Parti démocrate, 15 par le Parti républicain. Le Sénat sortant compte 53 démocrates, deux indépendants qui
les soutiennent et 45 républicains.
Trente-six postes de gouverneurs seront également en jeu, ainsi que plusieurs municipalités. S'y ajouteront dans certains États des consultations d'initiative populaire sur la légalisation de la marijuana, la question de l'avortement, le salaire minimum ou le contrôle des armes à feu.
Dans la dernière ligne droite avant les élections de mi-mandat, mardi 4 novembre, aux États-Unis, les candidats en lice pour un siège au Congrès s’activent. Les résultats s’annoncent serrés dans certains États clés. Mais depuis plusieurs mois, une autre bataille concernant l’identification des électeurs, et par conséquent l’accès au vote, se déroule devant les tribunaux.
Cette année, 31 États demanderont aux électeurs, le 4 novembre, de fournir un document attestant de leur identité. Un record. Et 15 d’entre eux exigeront une pièce d’identité avec photo, une formalité très peu ancrée dans les mœurs d’un pays où la carte d’identité nationale n’existe pas et où le permis de conduire remplit le plus souvent cette fonction.
Les leçons de la présidentielle de 2000
Avant le début du XXIe siècle, une simple déclaration sur l’honneur suffisait pour voter dans la plupart des États. Mais après les nombreux ratés du scrutin présidentiel de l’an 2000, lors duquel George W. Bush fut déclaré vainqueur par la Cour suprême au terme de nombreuses semaines d’attente, de plus en plus de lois obligeant les électeurs à prouver leur identité sont apparues.
"Nous observons en effet une vague de lois contraignantes depuis les années 2000 et qui s'est accélérée depuis quatre ans. Celles-ci concernent les pièces d’identité à fournir le jour du scrutin, mais aussi les conditions à remplir pour s’inscrire sur les listes électorales ou la possibilité donnée aux électeurs de voter en avance. Depuis 2010, 22 États ont ainsi voté de telles lois contraignantes et 15 d’entre eux vont expérimenter ces changements pour la première fois lors des élections de mi-mandat", regrette Tomas Lopez, du Brennan Center for Justice. Une étude de cet institut non-partisan spécialisé dans l’étude des lois et des politiques publiques, dépendant de l’école de droit de la New York University, a établi que 11 % d'Américains en âge de voter ne possèdent pas de pièce d'identité.
Une règlementation très stricte au Texas
Parmi les États ayant instauré une nouvelle législation, le cas du Texas est emblématique. Sa loi est aujourd’hui considérée comme étant la plus stricte du pays. Elle oblige les Texans à présenter une pièce d’identité avec photo parmi une liste restreinte de documents. Les électeurs détenteurs d’un permis de port d’arme délivré par l’État, notamment, pourront voter, mais pas les jeunes n’ayant que leur carte d’étudiant à présenter.
"Le problème, c’est que les Américains ont l’habitude de déménager. Donc de nombreux électeurs habitant au Texas ont un permis de conduire provenant d’un autre État [non reconnu dans les bureaux de vote texans, NDLR]", souligne Kathleen Unger, de l’association VoteRiders, qui se bat sur le terrain pour informer les électeurs et les aider à obtenir une pièce d’identité valide.
"Il y a aussi des millions d’Américains qui n’ont tout simplement pas la moindre pièce d’identité avec photo, ajoute-t-elle. Beaucoup de personnes âgées, de pauvres, de Noirs, de Latinos, d’étudiants ou d’handicapés physiques ou mentaux n’ont pas le permis de conduire et n’ont pas les moyens de se procurer un autre type de document. Rien qu’au Texas, ce sont entre 600 000 et 1,2 million de personnes qui sont concernées."
Un combat idéologique entre démocrates et républicains
La quasi-totalité des États modifiant leur loi électorale sont républicains. Ces derniers assurent qu’il en va de la légitimité des élections. Sans loi contraignante pour certifier qu’un électeur est bien la personne qu’il prétend être, impossible d’empêcher la fraude, assurent-ils.
Les démocrates estiment au contraire que l’argument de la fraude électorale est peu recevable et que ces lois contraignantes ont pour effet néfaste d’empêcher de nombreuses minorités – souvent acquises aux démocrates – d’exercer leur droit de vote.
"Le problème, c’est que notre histoire nous a montré qu’il était possible d’empêcher certaines personnes de voter grâce aux lois électorales, explique Tomas Lopez. Durant des années, de nombreux États, notamment dans le sud des États-Unis, avaient instauré un système pour empêcher les Noirs de voter. Aujourd’hui, nous voyons ressurgir ces lois qui s’apparentent au suffrage censitaire. Nous considérons que c’est illégal."
Un récent rapport du Government Accountability Office, l’équivalent américain de la Cour des comptes, semble lui donner raison. Il affirme que les modifications des lois du Kansas et du Tennessee appliquées en 2012 ont entraîné une baisse de la participation, de respectivement 1,9 % et 2,2 % au bas mot, surtout chez les Noirs et les jeunes.
Des procédures administratives onéreuses
C’est donc bien une course contre la montre que mènent les bénévoles de VoteRiders, tant il faut être armé de patience pour obtenir l’une des pièces d’identité requises. "La première chose à faire, c’est se procurer une copie de son acte de naissance. Mais dans beaucoup d’États, il faut présenter une pièce d’identité avec photo pour l’obtenir, explique, navrée, Kathleen Unger qui préfère rire de cette situation. Certains États demandent aussi une signature authentifiée par un notaire. Et puis tous les États font payer cette démarche administrative. Par ailleurs, il y a tout simplement de nombreux Américains qui n’ont pas ou plus d’acte de naissance. Soit parce qu'ils sont nés à domicile, soit parce que le document a été perdu. Dans ces cas-là, il faut demander un acte de naissance différé, ce qui prend du temps et s'avère très compliqué. Cela nécessite généralement un avocat, ce qui veut dire dépenser beaucoup d’argent."
Tomas Lopez évoque le cas d'une femme de 90 ans, née dans le Mississippi, vivant aujourd’hui au Texas après être passée par Chicago, dans l’Illinois. Ne possédant pas l’une des pièces d’identité requises, il lui fallait donc se procurer une copie de son acte de naissance. "Sauf que l’obtention de ce document coûte 42 dollars dans le Mississippi, affirme le chercheur du Brennan Center for Justice. Et avec seulement 300 dollars par mois de pension de retraite, elle a dû faire un choix. Elle ne pouvait pas se permettre, financièrement, de faire les démarches pour pouvoir voter."
Reste à savoir si ces nouvelles lois qui entreront en vigueur ce mardi lors des élections auront un impact important ou limité sur la participation. Mais ce qui attend surtout les Américains, ce sont davantage de procédures judiciaires. Les associations opposées aux lois sur l’identification des électeurs ont en effet prévu de déployer des armées d’observateurs pour relever les nombreux problèmes qui ne manqueront pas d’apparaître. Peut-être faudra-t-il donc attendre quelques semaines pour connaître les résultats définitifs des élections de mi-mandat.