Après avoir passé la majeure partie des années 90 sous perfusion, Fiat a désormais le vent en poupe. La marque italienne veut à la fois sauver Chrysler de la banqueroute et s'offrir la division européenne de General Motors.
Non, vous ne rêvez pas. Après avoir volé au secours du géant américain Chrysler, le constructeur italien Fiat est en passe d’acquérir l'allemand Opel, propriété de General Motors (GM) depuis 80 ans. C’est ce qu’a annoncé en tout cas, lundi à Berlin, Sergio Marchionne, patron du groupe et artisan de la résurrection d’une entreprise qui était, il y a cinq ans encore, la risée de toute l’industrie automobile.
Arrivé à la tête du constructeur turinois en 2004, Sergio Marchionne a pour ambition de créer une société regroupant les activités automobiles de Fiat, ses nouvelles parts dans Chrysler (20 %) et ses activités reprises de GM en Europe (Opel, Vauxhall, Saab) ainsi que, à en croire les dernières rumeurs, en Amérique latine. Bref, de donner naissance à un géant de l’automobile capable de rivaliser avec le leader incontesté du secteur, le japonais Toyota. Pour ce faire, Marchionne s’est fixé pour objectif de vendre plus de 6 millions de voitures par an. Et d’éponger près de 10,5 milliards de dollars de dettes (Fiat a enregistré 460 millions de dollars de profits l’an passé). Pour le dirigeant turinois, ce plan n’est rien de moins qu’un "mariage paradisiaque". Sur le papier, pourtant, il ressemble davantage à un infernal ménage à trois.
La crise, faiseuse de miracles
De fait, la stratégie de Marchionne consiste à atteindre la "taille critique", celle qui permettrait au constructeur d’assurer sa survie sur un marché à bout de souffle. En clair, être suffisamment gros pour pouvoir résister à la tempête qui secoue le secteur. Seulement voilà, tout comme ses rivaux, Fiat est fauché. “Le groupe n’a pas dépensé un centime pour acquérir Chrysler et espère également ne rien débourser pour Opel, commente Douglas Herbert, spécialiste économie à FRANCE 24. Il va falloir sérieusement négocier, et personne ne sait encore comment Marchionne va s’y prendre pour parvenir à ses fins."
Pour tous ceux qui, il y a encore peu, avaient prématurément enterré Fiat, les ambitions du constructeur turinois ne laissent d’étonner. Surtout en ces temps de crise planétaire.
Mais c’est bel et bien la crise qui a tout rendu possible, explique le journaliste économique de "La Repubblica", Paolo Griseri. "L’opportunité s’est présentée lorsque le président américain Barack Obama a dû plancher sur le sauvetage de Chrysler et de GM." Et que l’argent, ajoute Paolo Griseri, ne semblait pas constituer un problème. "Dès lors que GM a annoncé qu’il souhaitait se débarrasser d’Opel, il revenait à l’acheteur de fixer le montant de la transaction." En l’occurrence, zéro.
Rien n’est joué, donc. Marchionne a dû batailler ferme pour convaincre Washington que Fiat pourrait apporter tout son savoir-faire à un Chrysler en panne d’innovations technologiques. De l’autre côté, selon Mario Cianflone du journal "Il Sole 24 Ore", l’alliance avec le constructeur américain, propriétaire de la marque Jeep, permettra à Fiat d’étoffer son offre : "Tous ces débats sur la prétendue impopularité de la Cinquecento aux Etats-Unis n’était qu’un coup médiatique destiné à promouvoir la Jeep en Europe."
Réduction des coûts de production
Aux yeux de Mario Cianflone, le mariage entre Fiat et Opel devrait être tout aussi bénéfique pour les deux firmes. Au moins permettra-t-il à la filiale européenne de GM d’offrir une "touche italienne" à des modèles "un peu triste, c’est peu de le dire". Mais le véritable avantage que les deux concurrents européens tireront de leur alliance c’est l’importante réduction des coûts de production qu’ils seront alors en mesure d’effectuer. "Ce qui inquiète les syndicats, indique Paolo Griseri, c’est l’envergure de l’opération et le fait que la fusion puisse donner naissance à un groupe qui, pour être plus compétitif, pourrait être tenté de tailler dans ses effectifs."
En Italie, où Fiat est une véritable institution, les ambitions de Marchionne ont reçu un accueil mitigé. "L’acquisition de Chrysler a été perçue comme une conquête", affirme Griseri. L’opération lancée en direction d’Opel suscite, en revanche, davantage d’inquiétudes. Opérant sur le même marché, "les deux groupes savent qu’un des deux sera de trop".
Le miracle italien
Bien évidemment, rien de tout cela n’aurait été possible si Sergio Marchionne n’avait sauvé le constructeur turinois de manière spectaculaire. Pour Paolo Griseri, le miracle Fiat peut se produire de nouveau. Tout d’abord, parce que Marchionne – le seul patron dans l’histoire du groupe qui ne sort pas du "moule" Fiat – est parvenu à se débarrasser des lourdeurs bureaucratiques qui ont longtemps pesé sur un groupe dont "le fonctionnement n’était pas sans rappeler celui d’un ministère". Marchionne peut également se targuer d’avoir modifié la mentalité de l’entreprise. "Les Italiens ont à peine eu le temps de prendre conscience que Fiat pouvait renaître de ses cendres, qu’il ressuscitait déjà. Du pur style Obama", conclut Paolo Griseri.
Aujourd’hui, l’homme providentiel doit affronter la farouche résistance des syndicats italiens et français, ainsi que le scepticisme de Berlin. Pour Frank-Walter Steinmeier, le ministre allemand des Finances, Fiat devra débourser entre 5 et 7 milliards de dollars pour honorer ses ambitions. Quoiqu’il en soit, le sort d’Opel dépend désormais ni des syndicats ni du gouvernement d’Angela Merkel, mais plutôt du nouveau locataire de la Maison Blanche, dont la principale préoccupation est qu’on lui fasse, le 31 mai, les propositions le plus à même de sauver Chrysler et GM.