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Modulation des allocations : "Il est normal que les politiques familiales évoluent"

La modulation des allocations familiales selon le revenu provoque de vives critiques. Pour le chercheur Olivier Thévenon, les arguments des adversaires de cette mesure sont peu fondés, les politiques devant s'adapter à l'évolution des familles.

À partir du 1er juillet 2015, les allocations familiales seront modulées en fonction des revenus, a annoncé jeudi 16 octobre le gouvernement. À partir de 6 000 euros de revenus mensuels pour un foyer avec deux enfants, les allocations familiales seront réduites de moitié, et au-delà de 8 000 euros, elles seront divisées par quatre.

Cette annonce a suscité de très fortes réactions, que ce soit de la part des associations de familles ou de nombreux politiques, à droite mais aussi à gauche. Ses adversaires estiment que cela remet en cause le principe d’universalité des allocations familiales. Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, ces dernières sont versées à tous les ménages à partir de deux enfants, quels que soient leurs revenus. Pour Olivier Thévenon, économiste et chercheur à l’Institut national d’études démographiques (Ined), ces arguments sont toutefois à modérer.

France 24 : Peut-on parler de spécificité française concernant les prestations familiales ?

Olivier Thévenon : La spécificité française, c’est le degré de développement des politiques familiales. Quand on compare l’effort de la nation en direction des familles, en pourcentage du PIB, la France fait partie des pays qui dépensent le plus. Cela représente 4 % du PIB, alors qu’en moyenne pour les pays de l’OCDE, c’est 2,6 %. De ce point de vue là, on se rapproche des pays nordiques et du Royaume-Uni. Une autre spécificité, c’est que dans la structure des dépenses, un effort particulier est fait en direction du développement des services d’accueil de la petite enfance. Enfin, il existe aussi une spécificité concernant les avantages fiscaux aux familles. Les aides financières en direction des familles sont croissantes avec le niveau de revenu sous l’effet du quotient familial. C'est-à-dire que le niveau d’aide tend à croître pour les revenus élevés. Dans les autres pays, les politiques familiales aident généralement plus les familles les moins aisées.

Dans ce cas-là, pourquoi tant de personnes s’insurgent contre cette modulation ?

Il y a différents intérêts qui s’expriment. Il y a d’abord un facteur institutionnel avec le rôle des associations familiales et de leur représentation dans les négociations qui touchent la branche famille. Ces associations relayent très souvent leur attachement envers le principe d’universalité des prestations et envers les aides particulières qui sont faites aux familles nombreuses. Bien souvent, elles entretiennent la confusion entre ce qui est de l’ordre de l’universalité des prestations et ce qui est de l’ordre de l’uniformité. L’universalité, cela signifie que tout le monde y a droit et tout le monde contribue aux prestations. Paradoxalement ce principe est écorné car les familles avec un seul enfant n’y ont pas droit. Mais pour un certain nombre de personnes, toucher à l’uniformité - le fait qu’on puisse avoir un niveau d’allocations dégressif selon le revenu - signifie remettre en cause le principe d’universalité, ce qui est tout à fait contestable.

Justement, d’un point de vue plus symbolique, les adversaires de cette modulation estiment qu’on s’attaque au "pacte républicain" et qu’on s’éloigne de l’idéal de l’après-guerre. Que leur répondez-vous ?

Au contraire, je pense qu’on y reste attaché. Ce n’est pas avec cette petite modulation qu’on franchit un grand pas. Les familles et leurs problèmes ont évolué. Il est normal que les politiques familiales évoluent également. Il y a un recentrage des politiques autour du développement de l’accueil des petits enfants et d’une plus grande aide et d’un accompagnement des familles les plus défavorisées. J’ai le sentiment que cela va dans le sens des besoins croissants des familles. On n’est pas forcément les plus avancés en France par rapport à d’autres pays. L’effort est fait autour de ça et, du coup, il y a forcément des baisses d’aides pour les familles les plus aisées.

Selon les adversaires de cette modulation, toucher à ce système entraînerait une baisse de la natalité dans notre pays. Est-ce que cet argument est recevable ?

Il faut relativiser cet argument. Quand on regarde les dispositifs, on s’aperçoit que ce qui a un effet positif sur la fécondité, ce sont les aides qui visent à aider la conciliation entre travail et vie familiale, comme l’offre de service d’accueil pour la petite enfance ou les dispositifs de congé. C’est vraiment le premier facteur qui aide les familles à décider d’avoir au moins un enfant. Du coup, quand on regarde les options qui étaient sur la table du gouvernement depuis la semaine dernière - réduire le congé parental, réduire la prime à la naissance ou réduire les aides au financement des frais de garde -, je trouve que c’est une meilleure option d’avoir choisi la modulation des allocations familiales. La première raison étant qu’on hypothèque moins les aides conciliant vie familiale et travail. La seconde étant qu’on va finalement avoir un impact sur moins de familles. Si on touchait par exemple aux frais de garde, cela concernerait aussi les familles avec un seul enfant, contrairement aux allocations familiales.