logo

Prix Bayeux : un reportage insoutenable en Syrie primé par le public

Un reportage photo montrant des décapitations publiques par des jihadistes en Syrie a été récompensé, samedi, par le prix du public au Prix Bayeux-Calvados. Un verdict qui interpelle les médias, qui refusent généralement de publier ce genre d’images.

Les images sont insoutenables. Quatre soldats de l’armée régulière syrienne sont décapités par des jihadistes de l’organisation de l’État islamique (EI) lors d’une exécution publique. La plupart des médias ont refusé de publier cette série de photos prises l’année dernière par le photographe turc Emin Ozmen près d’Alep, les jugeant trop sanglantes. La volonté de ne pas relayer la propagande du groupe jihadiste a également joué dans la décision de ne pas publier cette série de photos.

C’est pourtant le reportage qui a remporté le suffrage du public, samedi 11 octobre, lors du Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre.

"Syrie : la barbarie au quotidien", une série de neuf photos prises par Emin Ozmen dans quatre villages de la région d'Alep le 31 août 2013, a obtenu le prix du public après avoir fait l'objet de vifs débats au sein du jury de professionnels qui avait choisi de ne pas récompenser ce travail.

Ces photos ont été refusées par Sabah, le propre journal d'Emin Ozmen en Turquie, avant d'être vendues par Sipa Presse aux magazines "Time" et "Paris Match".

"Mal au cœur"

Interrogé par l'AFP, le photographe turc explique être tombé par hasard sur ces exécutions alors qu'il était en reportage dans le nord de la Syrie sous la protection de soldats de l'Armée syrienne libre (ASL).

"Ce sont des photos qui ont un contenu très discutable, je comprends qu'elles fassent débat", déclare-t-il, tout en soulignant que les exécutions auxquelles il a assisté diffèrent des décapitations d'otages que les jihadistes ont diffusé depuis par vidéo. "Je comprends que ces vidéos ne soient pas diffusées afin de ne pas relayer la propagande" des bourreaux, ajoute-t-il.

Emin Ozmen effectuait alors son huitième voyage en Syrie. Ces exécutions "m'ont donné mal au cœur, elles m'ont dégoûté", raconte-t-il. Il a regagné la Turquie le lendemain et n'est pas retourné depuis dans le pays. "C'est très dangereux pour moi", explique-t-il.

Alors que ses photos sont très populaires sur internet, le photo-reporter né en 1985 juge que "ce qui compte, c'est que ces photos arrivent jusqu'aux gens". "Cette réalité sanglante que nous vivons au Moyen-Orient, il faut que tout le monde la constate et que l'on agisse pour empêcher cela", plaide-t-il.

"Être récompensé par le public après avoir été sélectionné par un jury de professionnels, ça me fait très plaisir", dit-il.

En raison de l'extrême violence de certaines images, le reportage n'a été que partiellement montré à la salle samedi soir lors de la cérémonie de remise des prix.

L'auteur a raconté sur scène comment il avait été amené à photographier ces exécutions de soldats. "J'ai même pas regardé" en prenant les photos, a-t-il dit. Après "j'ai eu mal à l'estomac toute la journée".

Quand son journal a refusé de les publier, pour le photographe, "c'était très grave". "Je voulais que tout le monde voit la cruauté de l'armée islamique", a-t-il lancé, très applaudi par la salle.

Palmarès de la 21e édition du Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre:

- Trophée presse écrite :

1er Prix : Anthony Loyd (The Times) pour "I thought of Hakim as a friend. Then he shot me" (Syrie)

- Trophée photo :

1er Prix : Mohamed Al-Shaikh (AFP) pour "La majorité chiite poursuit ses manifestations contre le pouvoir" (Bahrein)

- Trophée télévision :

1er Prix : Lyse Doucet (BBC News) pour Yarmouk (Syrie)

- Trophée radio :

1er Prix : Olivier Poujade (France Inter) pour "L'opération Sangaris dans le piège de Bangui" (Centrafrique)

- Trophée télévision grand format :

1er Prix : Marcel Mettelsiefen (Arte Reportage) pour "Syrie : la vie, obstinément" (Syrie)

- Prix du jeune reporter :

Alexey Furman (EPA) pour "La crise urkainienne" (Ukraine)

- Trophée webjournalisme :

1er Prix : Gerald Holubowicz, Olga Kravets, Maria Morina, Oksana Yushko, Anna Shpakova - Mediapart - Polka Magazine Chewbahat Storytelling Lab pour "Grozny : nine cities" (Tchetchénie)

Prix spéciaux :

Prix Fondation Varenne : Ian Pannell (BBC News) pour "Attaque chimique sur une école" (Syrie) ; Prix Ouest-France : Claire Meynial ("Le Point") pour "Dans le village martyr de Boko Haram" (Nigeria) ; Prix du public (Photo) : Emin Ozmen (Sipa Press) pour "Syrie : La barbarie au quotidien".