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Cannes, fournisseur officiel des Oscars du meilleur film étranger ?

Comme au moins quatre autres pays, la France a choisi un film sélectionné au dernier Festival de Cannes pour le représenter aux prochains Oscars. Le label "vu sur la Croisette" est-il indispensable pour espérer décrocher une statuette ?

Alors que le coup d’envoi de la campagne des Oscars vient d’être donné aux États-Unis, plusieurs pays n’ont pas hésité à jouer la carte "vu sur la Croisette" pour prétendre à une nomination lors de la prochaine cérémonie en février 2015. Sur les 38 films sélectionnés lors du dernier festival de Cannes, en compétition ou dans la section Un certain regard, une bonne dizaine ont été soumis à l’Académie des Oscars, qui aura jusqu’à janvier pour dresser la liste définitive des productions nommées dans la catégorie "meilleur film en langue étrangère".

La France espère donc défendre ses couleurs avec "Saint Laurent" de Bertrand Bonello, un film estampillé "sélection Cannes 2014". Même chose pour le Canada qui a désigné "Mommy" de Xavier Dolan (Prix du Jury), la Belgique "Deux jours, une nuit" des Jean-Pierre et Luc Dardenne, la Mauritanie "Timbuktu" d'Abderrahmane Sissako et la Turquie "Winter Sleep", la Palme d’or de Nuri Bilge Ceylan. Il se dit enfin que "Leviathan" d’Andreï Zviaguintstev, "Les Nouveaux Sauvages" de Damian Szifron et "Les Merveilles" d’Alice Rohrwacher (Grand prix) devraient respectivement représenter la Russie, l’Argentine et l’Italie. Autant de films qui ont concouru en mai dernier pour la Palme d’or…

"Le meilleur du cinéma mondial"

Une prédominance des films cannois que Scott Feinberg, journaliste à l’hebdomadaire de référence "The Hollywood Reporter", explique par la renommée du festival français. "Cannes est l’endroit où à peu près tous les films non-Américains espère être montrés en avant-première, explique-t-il. Ce festival est tellement sélectif que les films qui y sont présentés bénéficient d’une exposition médiatique qu’ils ne trouveront nulle part ailleurs. Le fait, en outre, que les organisateurs exigent qu’aucun long-métrage sélectionné n’ait été projeté ailleurs renforce cette idée qu’on y verra le meilleur du cinéma mondial."

D'ailleurs, au moment de dévoiler la sélection officielle du dernier festival de Cannes, Thierry Frémaux n’avait pas manqué de le souligner : bien avant de recevoir les honneurs hollywoodiens et l’Oscar 2014 du meilleur film en langue étrangère, "La Grande Bellezza" de Paolo Sorrentino avait concouru pour la Palme d’or.

Fréquemment accusé de ne jeter son dévolu que sur un nombre restreint de cinéastes (dont l’Italien est censé faire partie), le délégué général du festival voyait dans cette récompense la preuve que Cannes n’était pas une coterie mais bien la vitrine internationale de ce qui se fait de mieux dans le cinéma.

Le sélectionneur en chef aurait également pu citer "Amour" de Michael Haneke, Palme d’or 2012 et Oscar 2013 du meilleur film étranger. Encore plus parlant  (si l'on peut dire) : "The Artist" du Français Michel Hazanavicius qui, après avoir enchanté la Croisette en 2011, avait engrangé une pluie d’Oscars dont celui du meilleur film (le fait d’être muet lui avait permis d’échapper à la catégorie moins exposée du "meilleur film en langue étrangère").

De fait, la liste des films ayant passé le test cannois avant d’être sacrés "meilleur film étranger" par l’Académie est particulièrement bien fournie. À "La Grande Bellezza" et à "Amour" ajoutons "Les Invasions barbares" de Denis Arcan (2003), "No Man’s Land" de Danis Tanovic (2001), "Tout sur ma mère" de Pedro Almodovar (1999) ou encore "La Vie est belle" de Roberto Benigni (1997) pour ne citer que les exemples les plus récents. Sans oublier, côté français, "Orfeu Negro" de Marcel Camus (1959) et "Un homme et une femme" de Claude Lelouche (1966), tous deux couronnés d’une Palme et d’un Oscar.

Une Palme n'est pas un sésame

Est-ce à dire que les comités de sélection nationaux misent systématiquement sur un passage pour augmenter leur chance de participer à la grand-messe hollywoodienne et - pourquoi pas - remporter une statuette ? L’histoire a en tout cas montré qu’un passage en sélection cannoise ne constitue pas toujours un sésame pour les Oscars.

L’an passé, malgré sa retentissante triple Palme, "La Vie d’Adèle" avait été écarté par les sélectionneurs français qui, pour d’obscures raisons de calendrier, lui avaient préféré "Renoir". "En 2010, la Thaïlande avait soumis la Palme d’or ‘Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures’ mais l’Académie des Oscars ne l’avait pas retenu, rappelle Scott Feinberg. En 2007, la Palme roumaine ‘4 mois, 3 semaines, 2 jours’ a connu le même sort."

Plus qu’une Palme ou une sélection à Cannes, l’Académie des Oscars sera davantage sensible à la capacité d’un film étranger à exalter la culture et l’histoire de son pays d’origine. Aussi selon Eric Altmayer, le producteur de "Saint Laurent", le biopic consacré au célèbre couturier français correspond "exactement à ce que les Américains et les étrangers en général peuvent apprécier du cinéma français". D’autant que "le sujet Saint Laurent est très universel" et que le film a "un parti pris et un point de vue artistique affiché".

Le dernier film français à avoir décroché un Oscar du meilleur film étranger fut "Indochine" en 1993. Signé Régis Wargnier, ce drame romantique mettait en scène Catherine Deneuve en héritière d’une plantation d’hévéas dans l’Indochine française du début du XXe siècle. Une star française connue à l’internationale, une romance sur fond d’histoire coloniale… De quoi plaire effectivement à Hollywood.