correspondant en Écosse – L'Écosse retient son souffle en attendant les résultats du référendum, qui doivent être annoncés vendredi matin. Les électeurs sont partagés entre excitation et anxiété, au terme d'une campagne haletante. Reportage à Édimbourg.
Les Écossais ne sont normalement pas très enclins à étaler leurs émotions. La rudesse du climat, probablement, quelques siècles d’influence presbytérienne, certainement… Mais la campagne du référendum sur l’indépendance a été longue, et pour beaucoup d’Écossais, source de dilemmes interminables sur lesquels ils se confient volontiers. En ce jour de vote, c’est sous un nouveau ciel gris et brumeux que les habitants du quartier de Marchmont, à Édimbourg, se rendent aux bureaux de vote. Tous ont conscience de participer à une consultation historique, et la plupart assurent être soulagés d’avoir enfin glissé leur bulletin dans l’urne. Certains, plus rares, sont juste énervés.
Un vote "qui n'aurait jamais dû avoir lieu"
Un retraité peste contre ce vote, "qui n’aurait jamais dû avoir lieu". Un partisan du "Non", on l’aura compris… Tout comme Johanne Race, une étudiante, qui redoute de se réveiller demain dans un autre pays que le Royaume-Uni. "J’ai été très stressée ces dernières semaines. J’ai relu quatre fois la question sur le bulletin de vote pour être sûre de mettre la croix au bon endroit", assure-t-elle. D’autres ont voté pour l’Union, presque à contrecœur. C’est le cas de Jeannie, 80 ans et quelque, qui se dit "désolée" de n’avoir pas pu voter "Yes", mais son amour de l’Écosse n’a pas pris le dessus sur sa raison.
"J’ai voté 'Yes', en espérant que le 'No' passe"
Ce n’est pas le cas de Jane Slesser, 80 ans aujourd’hui, qui a voté pour l’indépendance, "sûre à 99 %" d’avoir pris la bonne décision. En ce jour, elle pense en particulier à son mari défunt, nationaliste de la première heure, qui "aurait été si heureux de participer à ce vote".
Anglais, fonctionnaire au gouvernement écossais, Steve a finalement lui aussi voté pour l’indépendance, après des mois d’indécision. "J’ai eu du mal à m’endormir hier, et je me suis réveillé en y pensant ce matin, raconte-t-il. Je balayais tout le spectre des raisons qui me faisaient aller vers le 'Yes' et le 'No', et je savais qu’il fallait que j’aille à une des extrémités. Ma femme a voulu me dire ce qu’elle avait décidé, mais je lui ai demandé de ne pas le faire, pour ne pas être influencé. J’ai presque voté 'Yes', en espérant que le 'No' passe, mais de justesse, pour qu’on ait plus de décentralisation. Par contre, je ne vais jamais dire à mon père que j’ai voté 'Oui', il m’en voudrait trop s’il savait."
"Les risques de l'indépendance m'angoissaient"
D’autres pro-indépendance ont eux eu peur de voir leur motivation chanceler au dernier moment. Comme Martin Hanson, une trentaine d’années : "Les risques de l’indépendance m’angoissaient. J’avais confiance dans le fait d'y arriver ce matin, mais je ne pouvais pas m’empêcher de penser que je risquais de flancher." Bilan ? Un "Yes". Enfin … "Je serai presque soulagé si c’est le 'Non' qui passe", tempère-t-il.
Rosie Adamson, une jeune étudiante flanquée d’un superbe chien Husky blanc aux yeux vairons, est elle une "Yes" enthousiaste, bien qu’anciennement "No". Peu de doute sur son vote, mais juste l’angoisse de ne pas être dans le camp des vainqueurs. "Je suis très stressée, avoue-t-elle. Ce soir, je vais éteindre mon téléphone et ne pas aller sur Facebook. Je vais essayer de lire un bouquin et de m’endormir, mais je pense que ça va être très difficile."
Le camp des indécis
Et il y a encore ceux qui, malgré deux ans de campagne, n’ont toujours pas réussi à se déterminer. Graham Mc Quarry, un retraité de 66 ans, a lui penché pour le "Yes", avant de basculer vers le "No", à cause des incertitudes économiques de l’indépendance, avant de retourner au "Yes", en se disant qu’on trouverait bien un moyen de régler ça. Mais il s’esclaffe en racontant le supplice d’un de ses amis. "Il est horriblemement stressé avec ça, hier on jouait au golf et on parlait du vote. Il n’a toujours pas réussi à prendre sa décision, alors que c’est un type assez carré normalement. Je crois qu’il s’en veut vraiment de ne pas arriver à se faire une opinion."
De quelque camp qu’ils soient, beaucoup de votants soulèvent aussi une inquiétude partagée en Écosse. La campagne a été intense. Ces derniers jours, elle a eu tendance à se radicaliser. Les accusations ont volé d’un côté et de l’autre. Le référendum a passionné les Écossais, mais les a aussi polarisés. "Je suis inquiet des conséquences du vote, ça a beaucoup divisé, affirme Ian Gillespie. Quel que soit le résultat, il va y avoir beaucoup, beaucoup de gens mécontents demain..."