Les États-Unis, qui tentent de bâtir une coalition pour lutter contre les jihadistes de l'État islamique en Irak et en Syrie, pourront compter sur le soutien de l’Arabie saoudite. Une alliance à double tranchant pour le royaume wahhabite. Décryptage.
La monarchie saoudienne, qui considère l’organisation de l’État islamique (EI) comme une menace directe pour sa pérennité, semble être l’acteur clé de l’alliance formée par les Américains pour lutter contre les jihadistes, qui sévissent en Irak et en Syrie.
Une opération, annoncée par le discours de Barack Obama, prononcé dans la nuit de mercredi et jeudi 11 septembre, pourrait permettre à Riyad de se replacer sur l’échiquier politique de la région. Elle lui offrirait aussi l’opportunité de réchauffer ses relations avec Washington, tendues ces dernières années.
Pour comprendre l’enjeu et les intérêts d’une telle décision, France 24 a interrogé Karim Sader, politologue et consultant spécialiste des pays du Golfe.
France 24 : La pétromonarchie saoudienne pouvait-elle se permettre de ne pas participer à l’alliance contre l’EI ?
Karim Sader : Si l’administration Obama est ravie de pouvoir compter à nouveau sur cette puissance régionale sunnite, qui sert de caution islamique à cette opération, Riyad de son côté s’offre l’opportunité d’opérer un nouveau rapprochement avec les États-Unis. L’alliance historique entre ces deux pays, scellée par un pacte depuis 1945, avait été ébranlée à plusieurs reprises ces dernières années. Notamment lorsque Washington avait lâché l’ancien président égyptien Hosni Moubarak, un allié clé de l’Arabie saoudite, et surtout depuis l’ouverture de négociations avec l’Iran à propos du nucléaire, le tout sur fond de quête américaine d’indépendance énergétique.
L’Arabie saoudite avait tout intérêt à se joindre à cette coalition, car sur le plan régional, sa peur de voir l’Iran profiter du chaos, pour se voir adouber par les États-Unis comme le nouveau gendarme du Golfe, est grande. Ce scénario constitue une hantise pour les Saoudiens depuis le réchauffement des relations entre Washington et Téhéran. À l’heure où la région connaît de tels chamboulements, il est donc hors de question pour Riyad de se retrouver une nouvelle fois aux abonnés absents. Ce fut le cas lors de ce que l’on a appelé le printemps arabe où d’autres acteurs régionaux ont profité de son apathie pour lui ravir des parts de marchés de l’échiquier sunnite, comme le Qatar ou la Turquie.
D’autant plus que la monarchie saoudienne, pourtant accusée de soutenir indirectement des mouvements radicaux, est dans le viseur de l’État islamique...
Sans écarter l’existence de soutiens saoudiens privés à cette organisation, force est de constater que cette orientation ne correspond pas à une politique officielle du royaume. En effet, il n’est pas dans l’intérêt de l’Arabie saoudite de voir un califat qui lui est ouvertement hostile se consolider économiquement et militairement à ses frontières. L’État islamique remet en cause la légitimité même de la maison des Saoud, en dépit de la doctrine wahhabite appliquée dans le royaume.
La famille royale est taxée de complaisance à l’égard des Occidentaux, pis elle est accusée de collaborer avec ces pays dits infidèles dans le cadre de la lutte contre les jihadistes. D’un autre côté, Ryad - et c’est là toute l’ambiguïté de la politique saoudienne - a dans le passé favorisé l’émergence de mouvements radicaux, qui ont d’ailleurs, souvent fini par s’en prendre à la légitimité du royaume wahhabite. Obnubilé par les Frères musulmans, qui constituaient une alternative crédible à leur système monarchique, les Saoudiens ont ainsi soutenu des mouvements salafistes et jihadistes destructurés et dénués de tout projet étatique.
En se rangeant du côté des Américains contre l’EI, la monarchie saoudienne doit-elle craindre des conséquences internes ?
Le pouvoir saoudien n’a pas attendu les Américains pour prendre position contre l’EI. Il a lancé dès le mois de mars une série de
mesures hostiles à l’organisation. La question des conséquences d’un engagement auprès des Américains met en lumière les contradictions internes propres à la société saoudienne. Si la perspective de voir l’Arabie saoudite se positionner aux avant-postes contre le fondamentalisme religieux se confirme, il est certain que la maison des Saoud sera prise entre deux feux. À savoir : d’un côté lutter contre une organisation qui menace son existence et de l’autre s’exposer à des réactions hostiles et à subir les foudres d’une frange importante de sa population traditionaliste. Cette dernière refuse de voir le royaume s’allier avec le grand Satan américain pour bombarder des sunnites.
À cela s’ajoute le risque de voir le régime saoudien justement profiter de cette croisade anti-terroriste pour verrouiller davantage le pays sur le plan des libertés individuelles. L’épouvantail jihadiste a en effet souvent été utilisé par le passé pour étouffer toute contestation libérale dans le pays.